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Samedi 19 septembre 2015 à 15:58

 J’aime passionnément vivre seule. J’aime m’endormir en diagonale, me lever à n’importe quelle heure, faire de mes repas un moment créatif où je réunis des saveurs et des traditions disparates, où je me nourris en regardant mes mails, j’aime occuper mon espace sans préoccuper d’enfumer la pièce ou de la gêne consécutive au fond sonore d’une chanson écoutée en boucle. J’aime la liberté qu’offre le luxe d’être seule. L’humain est un animal sociable, je ne dois pas être l’un des leurs. Aussi, je ne comprends pas comment ma cohabitation avec Adaline a pu se passer aussi calmement. D’ailleurs, je crois bien qu’elle non plus.

Si j’ai accepté de l’héberger, c’était pour jouir du sentiment d’orgueil, presque d’héroïsme, qu’on doit ressentir lorsqu’on recueille un chaton blessé. J’avais l’impression de faire un sacrifice admirable  pour sauver Adaline du désarroi et de l’errance. Peut-être que vous comprendriez mieux si je vous disais qu’Adaline était une fugueuse, une adolescente que j’aurais arraché à la rue, à qui j’aurais donné les clefs pour rentrer dans le rang et commencer à construire une vie socialement intégrée. Mais Adaline n’était rien de tout ça. Adaline était une jeune adulte, une amie qui commençait un nouveau travail en ville et qui entrait dans la vie autonome avec l’assurance d’un poulain : curieuse mais prudente, et un peu maladroite. Je ne le sauvais pas d’un sordide destin, je lui rendais juste un service, en attendant qu’elle trouve un appartement, service qu’elle le ne m’avais demandé qu’en dernier recours, avec hésitations, sachant mon absence de goût pour la vie en communauté. D’ailleurs, je ne le savais pas à ce moment-là mais elle était entrée en contact avec plusieurs de ses connaissances afin de varier ses lieux de villégiature et n’être un poids pour personne. Peut-être craignait-elle que je ne la mette dehors inopinément au bénéfice d’une rencontre d’un soir. Ce en quoi elle avait tort. Je ne suis pas du genre à me formaliser de la présence d’un tiers de l’autre côté du mur.

Bref, comme souvent peut-être, je croyais la sauver, mais c’est elle qui m’a réellement rendu service. Je vous rassure, elle ne m’a pas « guérie » de mon désintérêt pour autrui et de la vie en société, de toute façon je ne suis pas malade. Mais elle m’a apportée plus que ce que je n’aurais cru possible, et encore aujourd’hui je garde de cette période une nostalgie heureuse. Il n’y a pas d’autre mot. Je n’ai pas envie de revenir à cette période, je ne cherche pas à trouver une relation semblable. Mais une partie de moi a le sentiment que notre cohabitation aurait pu durer toujours.

Dans les premiers temps, Adaline a cherché à préserver mon espace. Elle partait tôt, rentrait tard (que faisait-elle après son travail ? J’espère qu’elle ne tuait pas le temps, transie, à la terrasse d’un café), se réfugiant dans la lecture d’un livre pour que je me sente libre d’occuper mon temps et mon appartement sans me préoccuper d’elle. Elle disparaissait habilement dans le paysage, ce qui est remarquable si on considère qu’elle vivait dans mon salon.

Adaline comprenait si bien mes désirs ordinaires, les anticipait même, que je me sentais frustrée. J’avais envie de jouer à l’être humain ordinaire, qui guette le retour de l’autre ou qui se réjouit de retrouver l’autre en rentrant, qui propose de regarder un film, qui discute jusqu’à des heures indues, je voulais faire de cette collocation une soirée pyjama chaque soir renouvelée. Un soir, j’ai vu Adaline faire son sac, elle m’a expliqué qu’elle allait passer une semaine chez sa tante. Elle le faisait pour moi, mais je l’ai vécu comme un rejet, je ne comprenais pas. Mon appartement n’était pas assez bien pour elle, ma compagnie pas assez agréable ? ça, ajouté au fait que je sentais bien qu’elle fuyait l’appartement, n’y rentrant pratiquement que pour dormir, et qu’elle fuyait mon contact, nous n’avions que rarement des conversations qui duraient plus de 10 minutes depuis qu’elle dormait sur mon canapé ; j’ai craqué. J’aurais voulu me mettre à pleurer, mais je ne pleure pas devant d’autres personnes. Alors je lui ai simplement demandé « pourquoi ? ». Et nous l’avons eu, notre grande conversation, pour mettre au point nos attentes respectives. Je lui ai dit qu’elle respectait suffisamment mon besoin de solitude pour que sa présence ne me dérange pas, à vrai dire j’aimais bien avoir une interlocutrice potentielle pour partager les petits riens de la vie quotidienne. Elle m’a dit que dans ces conditions, elle resterait avec plaisir. Je lui ai dit de rester aussi longtemps que nécessaire, et que si jamais je saturais, je lui ferais savoir.

Il y a beaucoup de choses que j’admire chez Adaline. Bien sûr, je ne la connaissais pas vraiment avant qu’elle ne vienne vivre chez moi. Au cours de nos discussions (après cet incident), à moitié endormies dans mon salon, j’ai découvert une âme magnifique. Adaline n’est pas une personne, c’est un médicament. C’est une personne apaisée, presque stoïcienne, tolérante plus qu’indifférente. Adaline prend soin des gens comme ils sont, elle essaye de les comprendre et elle leur donne de l’affection, juste comme ça, par générosité. Je ne sais pas comment elle a réussi à être aussi profondément bienveillante sans se faire broyer par quelqu’un. Peut-être qu’elle a su se faire discrète. Ou peut-être qu’elle peut désarmer les intentions les plus venimeuses avec un sourire. Adaline n’est pas naïve pour autant. Si je croyais à la réincarnation, je dirais que l’âme d’Adaline est très ancienne.

Adaline me donnait le sentiment que quoi qu’il se passe et aussi honteuse que je pourrais me sentir après les choses laides que j’aurais faites, tout irait bien, on le surmonterait ensemble et elle m’aimerait toujours autant. Avec elle, je pouvais être moi-même, qui que je sois. Je n’étais pas amoureuse d’Adaline, nous n’étions pas ensemble, et pourtant j’ai eu avec elel la relation la plus stable, la plus affectueuse, la plus équilibrée et la plus enrichissante que j’ai jamais eu. Elle m’a beaucoup apporté, et moi je ne sais pas trop ce que je lui ai apporté en retour.

J’ai eu de la chance de l’avoir dans mon appartement, dans ma vie. Avec elle, je pouvais passer un après-midi sans parler, à lire et boire du thé, et c’était bien. Mais j’avais le sentiment (et je l’ai toujours) que je ne la méritais pas. Aussi, quand elle m’a dit qu’elle déménageait, qu’elle avait trouvé un appartement, je n’ai rien fait pour la retenir. Je pense qu’elle serait restée si je lui avais demandé. Mais je voulais être la personne qui méritait d’être son amie, je savais qu’il aurait été malhonnête de la garder pour moi, de la capturer dans un appartement qui n’était pas le sien. Alors je l’ai aidée à faire ses valises, la seule chose qui signalait que c’était une sorte d’adieu plutôt qu’un au revoir c’est quand je lui ai dit qu’elle allait me manquer et qu’elle m’a prise dans ses bras.

Bien sûr, nous sommes restées amies, mais ce n’était plus pareil.

Samedi 19 septembre 2015 à 15:27

 C’est amusant toutes les histoires qu’on peut s’inventer pour se rassurer. Je te jure, si tu me laissais te les raconter, je suis sûre que cela te ferait rire. On pourrait faire ça autour d’un dîner, je t’invite et je te distrais en t’énumérant toutes les absurdités qui me sont passées par la tête pour expliquer que tu ne rappelles pas, que notre histoire prenne fin. Je commencerais par les plus simples, les plus crédibles, celles où tu as perdu ton téléphone, où tu avais noté le mauvais numéro ou tu l’avais effacé par accident. Je te raconterais comment tu avais eu peur de tes sentiments, l’histoire traumatisante de l’engagement, la femme cruelle qui t’a rendu phobique, qui s’est jouée de toi et dont je te délivrerais, dont je te guérirais. Tu apprendras tous les problèmes familiaux, amicaux, personnels, dans lesquels tu t’es emmêlés ; la profonde crise personnelle que tu traverses et qui te donne le sentiment qu’il n’y a pas de place pour une relation dans ta vie. Je te parlerais de cette ex maléfique qui est revenue dans ta vue mais qui n’est pas faite pour toi, évidemment. De cette opportunité de voyage à l’étranger qui t’empêche de te projeter. De ce mariage arrangé contracté par tes parents à la naissance. Des obligations qui t’incombent en tant qu’héritier d’une obscure principauté. L’alcool aidant, je te dirais sur le ton de la confidence les détails de l’atroce accident dont tu as été victime et qui t’a laissé impuissant, vulnérable, rivé à un lit d’hôpital, peut-être amnésique. De cette mutilation, de ces blessures dont tu voulais me cacher l’existence pour ne pas perdre ton charme à mes yeux. De l’accident d’avion suite auquel tu as été porté disparu. De tes problèmes d’érection, même, de ton sentiment de ne pas avoir été à la hauteur pendant nos étreintes, de tes complexes. J’aurais posé une fiche Bristol posée sur la table et je les aurais énuméré un à un, le rose aux joues. Et tu me taquinerais gentiment d’avoir imaginé tout ça juste pour ne pas affronter l’horrible vérité, toute crue toute nue : je ne te plais pas.

On devrait rendre ça obligatoire, le débriefing post-relation. Pour exorciser, édifier et pour raisons humanitaires. Les relations amoureuses manquent de rituels. On sait rarement quand ça commencer, jamais quand ça finit. Il y aurait autant de larmes mais plus de certitudes. On pourrait remplir un questionnaire de satisfaction, un formulaire de rupture, afin de connaitre les douloureuses raisons pour lesquelles on a été rejeté.

Mais bien sûr, toi ça t’est égal. Tu es passé à autre chose. A quoi ? Je l’ignore. Pourtant, ça me semble une bonne idée, ce diner. Pour que tu me laisses une chance de te montrer qui je suis vraiment, tu ne m’en as pas laissé le temps. Je te montrerais combien je suis détachée en raillant mes espoirs, et combien je suis fragile, un vrai être humain avec de vrais morceaux de cicatrices affectives dedans, je pourrais te montrer mes nuances, je te jure que cette fille pourrait te toucher, te toucher vraiment.

Je pense que tu me le dois, ce diner. Certains hommes pensent bien qu’une fille leur doit de coucher avec eux s’ils les invitent à dîner, moi je pense que tu me dois un diner parce que j’ai couché avec toi. On choisirait le restaurant ensemble, rien de romantique bien sûr, une décoration sombre, un aménagement sobre et fonctionnel, pas de lumière tamisée, plutôt des lampes qui diffusent de la lumière crue, qui met les peaux à nu. Pas un troquet, rien de vulgaire, pas trop bruyant, un restaurant moyen de gamme, de la cuisine française, rien d’exotique, cela donnerait un ton trop personnel à la réunion de clôture.

Tu serais habillé comme d’habitude, on ne se met pas sur son 31 pour une ex et moi je me montrerais sous un jour nouveau pour toi, en jean, un T-shirt, une veste en cuir, sans recherche, moi à l’état sauvage.

Nous ne flirterons pas, nous parlerons de choses et d’autres et de notre histoire avec décontraction en bons camarades, nous ne prendrons pas de dessert et nous commanderons une bouteille de vin, tout cela sera de très bon ton.

A l’heure du rendez-vous, je t’attendrais à l’entrée du restaurant, les joues rosies par le froid, je te verrais avant que tu ne me voies, évidemment, ça me permettra de me ressaisir, de me rappeler pourquoi je suis là, mon cœur aura manqué un battement, puis tu me verras à ton tour et tu auras un petit sourire de soulagement, on se fera la bise, le serveur nous installera en se déplaçant avec la grâce féline d’un entremetteur et il ne pourrait pas être davantage dans l’erreur.

Tu vois, ce sera bien. Mais je sais déjà que tu ne viendras pas.

Samedi 19 septembre 2015 à 14:51

C’est à ce moment-là que tout a basculé, que j’ai cessé d’espérer. J’ai ouvert les yeux, je me suis redressée, le paysage visible depuis la fenêtre me jetait un regard glacé, et là j’ai su qu’il n’y aurait rien de plus, que je le reverrai jamais. Il n’avait rien dit pourtant, rien n’avait été dit. Il dormait encore. C’est peut-être parce qu’il me tournait le dos obstinément, lové à l’autre extrémité du lit, comme si son corps refusait ce qui s’était passé quelques heures plus tôt. Il avait eu l’air d’apprécier pourtant. C’était peut-être de voir sa chambre dans la lumière crue, sans focale, réverbérée par la neige. Je n’ai jamais pu dormir quand il y a de la lumière. Il y avait quelque chose dans cet appartement étranger, dans ces meubles, qui me disait que je n’y aurais jamais ma place, que je ne pourrais jamais m’y couler. Il émanait de la pièce une hostilité sourde, comme pour m’inciter à ne pas m’attarder.

J’avais beau savoir que c’était ce qui risquait d’arriver, de m’être attachée à ne pas mettre trop d’espoir dans ce rendez-vous, j’étais quand même déçue. Non, pas déçue. Dévastée. La violence de mes sentiments m’a surprise. Evidemment, je me suis mise à pleurer, que faire d’autre un jour de neige. J’ai pleuré silencieusement pour ne pas le réveiller. D’habitude, je pleure pour être plainte, consolée, cajolée. Je m’efforce donc de le faire face à une personne éveillée. Cette fois-ci, ce n’était pas la peine. Je disais adieu à mon rêve, et je ne pouvais le faire qu’en privé, du moins dans l’intimité toute relative d’une chambre qui n’était pas la mienne.

Je ne m’en suis rendue compte qu’après coup, mais je disais aussi adieu à mon adolescence. Je pensais l’avoir fait bien plus tôt, je ne suis pas du genre à idéaliser ma jeunesse, la mienne est une somme de souvenirs embarrassants, plein d’erreurs, de maladresses et de naïvetés. Je n’aime pas regarder en arrière. Mais les relations sentimentales étaient plus simples à l’époque, je veux bien leur accorder ça. Si quelqu’un me plaisait, et que par chance je lui plaisais aussi, on commençait à sortir ensemble, on s’embrassait et ainsi de suite. Au commencement de la relation était l’engagement, pour autant qu’on s’engage à quinze ans. Les baisers étaient pérennes et allaient de pair avec des dialogues, de l’affection, tout le package. Aujourd’hui, je ne sais pas à quoi engage un baiser : un autre rendez-vous, une autre mise à l’épreuve, comme un entretien d’embauche sentimental ; une nuit ; quelques semaines de relation, renouvelable jusqu’à ce que l’un des deux se lasse. Je ne sais pas si je dois mettre un sourire, une œillade, au crédit d’un intérêt platonique ou du désir ; je ne sais pas à partir de quand je peux tirer des plans sur la comète. J’ai l’impression de jouer à un jeu de dupe où le premier qui s’expose a perdu.

Avec lui c’était ça, c’était exactement ça. Un rendez-vous, un autre, je voulais tellement goûter ses lèvres. Je ne sais pas pourquoi ça a mis si longtemps, je ne le saurais probablement jamais. Peut-être que ce soir-là, il avait juste envie de passer le temps différemment. Toujours est-il que le baiser tant attendu est arrivé, et bien plus encore. C’était bien et un peu gauche, comme toujours la première fois. Je me suis endormie le ventre gonflé d’expectative, un peu étourdie par ce moment que j’avais tant rêvé les semaines précédentes. J’avais le sentiment d’avoir passé l’épreuve avec succès, que cette nuit ensemble était le premier jalon d’une relation naissante, et qui sait où cela allait nous entraîner, je croyais que j’avais des raisons d’espérer. Je croyais que je lui plaisais, plaire comme un euphémisme pour aimer, vous savez, ce verbe qu’on n’ose pas dire trop vite mais qui parfois plane dès l’aube d’une relation et on attend seulement, histoire de s’assurer qu’il n’y a aucun nuage qui menace, pour laisser les mots franchir les lèvres. Voilà, je croyais que c’était le début d’une histoire d’amour. Il avait tout pour me plaire, et j’avais tellement envie d’y croire.

La neige était tombée sans bruit pendant la nuit et c’est peut-être ça qui a tout changé. Je ne dis pas que sans cette eau glacée, il se serait réveillé, aurait posé les yeux sur moi et aurait dit quelque chose comme « bonjour chérie, je te fais un café ? » ou qu’il m’aurait embrassée, et que cette nuit-là aurait été suivie de beaucoup d’autres. La neige jetait une lumière différente sur ce qui s’était passé la veille. Les regards, ses mots, ses gestes. J’ai compris que je n’avais pas déchiffré les signes. Il avait juste besoin de quelqu’un pour réchauffer ses draps. Je ne pouvais pas lui en vouloir. Les désirs de deux êtres ont si peu de chance de se rencontrer, je suppose que notre nuit de la veille était déjà un petit miracle. Soudain, je voulais qu’il ne voulait pas plus. C’est moche, mais c’est comme ça. Mes espoirs se sont froissés. Alors je suis restée un peu comme ça, assise en tailleur sur le lit. J’étais trop lasse pour sangloter. Une fois calmée, je l’ai regardé dormir quelques instants, pour m’imprégner de son image, tâchant de deviner ses rêves où je n’étais pas. Je me suis habillée, je suis sortie, tête nue sous les flocons. Je savais qu’il ne rappellerait pas.

Samedi 19 septembre 2015 à 13:04

Ca n’aurait jamais dû arriver. Et en même temps, j’avais tellement imaginé ce moment, je l’avais tellement fait rouler sur ma langue comme une friandise qu’en regardant en arrière, je me dis qu’il n’aurait pas pu en être autrement.

C’était un mercredi comme les autres. C’est étrange cette formule toute faite, « c’était un jour comme les autres ». Comme si un événement inattendu, un accro dans la trame du quotidien, devrait être précédé par des signes annonciateurs, comme si la journée devait être pavée d’indices pour nous préparer à son acmé. Peut-être que si j’avais été sur mes gardes, cela ne se serait pas produit. S’il avait plu des grenouilles, les choses n’auraient peut-être pas dérapées. S’il avait plu des grenouilles, je ne serais probablement pas sortie de chez moi. Mais les accidents surgissent sans crier gare – pourquoi s’en donneraient-ils la peine ?

Ma journée s’est déroulée normalement. J’étais allée à la bibliothèque universitaire dans l’espoir de finir l’article sur lequel je planchais depuis des semaines. A midi, j’avais mangé un de ces sandwichs en plastique qu’on trouve dans toutes les cafétérias, où la différence entre le jambon-beurre et le poulet-crudité tient davantage à la couleur qu’au goût. Vers seize heures quinze, je me suis ruée vers la sortie, en retard, comme tous les mercredis, mon article insolemment inachevé. J’ai pris le métro bondé, j’avais trop chaud. Chez mon élève, sa mère m’attendait, et elle avait encore à me transmettre une de ses mille recommandations tatillonnes sur la bonne manière de m’occuper de son fils, alternant précisions superflues et confidences déplacées. Je suppose qu’elle cherchait une alliée dans cette bataille qu’est la maternité. J’avais l’habitude, mais ce mélange de manières de petit chef et de complicité unilatérale a toujours eu le don de m’agacer. Comme si elle cherchait à me faire comprendre que « nous sommes du même monde, mais je signe vos chèques, ne l’oubliez pas ». Je ne risquais pas de l’oublier puisqu’elle parlait de mon salaire avant chacun des cours. M’avait-elle davantage énervée ce jour-là que les autres ? J’ai envie de le croire. Mais je ne suis pas sûre que ce soit vrai.

Une fois son babillage terminé, le cours a pu commencer. Dieu merci, les cours avaient lieu dans la chambre de mon élève plutôt que dans le salon, où sa mère aurait bourdonné autour de nous. Mais finalement, il aurait peut-être été préférable que les cours aient lieu dans le salon. J’ai toujours secrètement apprécié cette dissymétrie : en tant que prof à domicile, je recueillais un certain nombre d’indices sur mes élèves, leur train de vie, leurs goûts, leurs hobbies. Mais eux, ils ne savaient de moi que ce que je leur disais, c’est-à-dire pas grand-chose. Ca me donnait un sentiment de supériorité, une espèce de triomphe.

C’est tellement intime, une chambre. J’ai toujours été surprise que mes élèves m’y laissent entrer sans ciller, qu’ils ne m’en refusent pas l’accès. Peut-être que la chambre n’a pas la même signification pour eux que pour moi. Pour eux, c’est leur espace personnel. Pour moi, c’est l’endroit où je dors, entre autres choses. C’est l’endroit où je suis vulnérable.

J’ai toujours eu un faible pour cet élève. Non, je ne devrais pas dire ça. Disons qu’il est rapidement devenu mon préféré. Je n’avais jamais eu un élève aussi motivé, et aussi soucieux de bien faire, que ce soit vis-à-vis de son travail ou de moi. Je veux dire, il avait cette façon très adulte de se montrer prévenant, il insistait pour me laisser le meilleur siège, m’offrait toujours quelque chose à boire et semblait sincèrement penaud lorsque quelque chose venait affecter la bonne marche du cours (un bureau mal rangé, une sonnerie de téléphone, une interruption par un de ses frères ou sœurs, trop jeunes pour saisir la sacralité du Cours). Peut-être que s’il avait agi avec davantage de désinvolture, s’il avait ressemblé davantage à l’idée que je me faisais d’un adolescent de quinze ans, les choses auraient évoluées différemment. Nous aurions sans doute été moins complices. Je veux dire, en général, je m’entends bien avec mes élèves. C’est difficile de travailler s’il y a une hostilité latente entre le professeur et l’élève. Mais ça s’arrête à ça : une bonne entente. Pourquoi en serait-il autrement ? Je n’ai pas grand-chose en commun avec un adolescent. Une histoire de maturité, et surtout de préoccupations. La plupart de mes élèves s’inquiétaient d’avoir le bac, je me préoccupais de mes articles. Chacun son truc. Mais avec lui, c’était différent, bien sûr. Sinon il n’y aurait pas d’histoire, il n’y aurait pas eu d’accident. Non que nous soyons devenus amis ni même que nous ayons eu des discussions sur des sujets personnels. Mais j’aimais sa tournure d’esprit, et je crois que c’était réciproque. Il savait se saisir des perches que je lui tendais lors de la résolution d’un exercice, je voyais où il venait en venir à demi-mots. On se comprenait. Il me faisait rire, aussi. D’habitude, c’est moi qui fais rire les élèves lorsque je sens qu’ils ont besoin d’une pause.

En fait, dès le début, la relation que nous avions ne ressemblait pas à celles que j’avais avec mes autres élèves. Il a été le seul à me tutoyer dès le premier jour, mais avec une forme de gêne et de maladresse, des retours au vouvoiement, des hésitations, des tâtonnements, comme s’il n’osait pas s’adresser à moi comme à une égale. C’était adorable. Et puis, c’était le seul de mes élèves à avoir mon numéro de portable. D’habitude, je traite plutôt avec les parents. Mais lui, il m’a demandé mon numéro à la fin de la première séance. Je pense que c’est parce qu’il gérait déjà son emploi du temps. Comme un adulte.

Bien sûr, nous ne sommes jamais restés des heures pendus au téléphone. Il m’envoyait quelques SMS sur mes cours et sur ses notes, et je lui rappelais ce qu’il devait faire pour la séance suivante ou lui apportait des précisions sur un point abordé lors de la précédente. Au fil des semaines, il m’arrivait de lui envoyer un texto pour lui faire part d’une anecdote qui pourrait l’intéresser, il me parlait parfois d’une œuvre qui l’avait particulièrement touchée. Ça n’a jamais été plus que ça. Mais c’était déjà beaucoup.

Et bien sûr, je le trouvais mignon. J’ai toujours eu une forme de tendresse pour mes élèves adolescents, un goût pour l’interdit. Je m’y autorisais comme une gourmandise, en me disant que ce fantasme était bien innocent puisque je ne l’ai jamais laissé affecter ou transparaitre dans mes relations, mes échanges ou mes gestes avec mes élèves. C’était mon jardin secret, où je jouais à la prof irrésistible mais responsable qui expliquait implacablement à un élève naturellement éperdu d’amour devant mon charme de revenir me voir lorsqu’il aurait 18 ans et le bac en poche. J’imaginais nos retrouvailles. Je pensais vraiment que ça n’irait pas plus loin que quelques rêveries distrayantes. Mais le ver était dans le fruit.

Et on en revient à ce fameux cours. Au regard de ce que je viens de raconter, l’issue est prévisible pour tout le monde. Elle ne l’était pas pour moi. J’avais remarqué que la photo qui ornait son bureau (une jeune fille, probablement sa petite amie) avait disparue quelques semaines plus tôt. J’avais noté ce changement comme l’apparition d’une deuxième chaise dans son bureau : des transformations mineures de l’environnement de travail. Peut-être que j’avais inclus cet élément dans le petit théâtre mental où je me raconte des histoires, en me disant que cet escamotage était le signe que mon élève était fou de moi. Mais je ne le reconnaitrai jamais.

Il m’a accueillie avec son sourire habituel et un verre de ma boisson préférée, on a échangé les salutations d’usage et on s’est mis au travail. Comme dans tous les autres cours, la discussion alternait entre l’exercice et des réflexions moins studieuses. Je sais que je devrais être plus ferme et demander à mes élèves de rester concentrés, mais je me laisse facilement happer par les vagabondages d’une discussion. Est-ce que son attitude était différente de d’habitude ? Et la mienne ? Je ne crois pas. Jusqu’au denier moment, rien ne laissait présager que quelque chose allait basculer. L’appartement était inhabituellement calme, la mère avait emmené les petits faire je ne sais quoi, ce qui était un soulagement, car les cours se déroulaient généralement sur fond de tapage et d’agitation.

Depuis ces jours, je n’ai cessé de remuer mes souvenirs : qu’est-ce qui s’est passé ? Comment on en est arrivés là ? J’ai ce besoin d’identifier la cause, le point de rupture, comme si ça permettrait d’excuser tout le reste. Mais le déroulement des événements est flou, comme si l’intensité de ce souvenir faisait que tout se bousculait sans que je ne parvienne à retenir un instant en particulier. Est-ce qu’à la suite d’une bonne réponse ou une réflexion particulièrement judicieuse, je me suis laissée aller à la familiarité et je lui ai pressé l’épaule ? Est-ce que pour attirer mon attention ou par inadvertance sa main sur mon genou ? Le contact physique était tellement anodin avec lui. Je veux dire, je suis du genre à prendre des précautions infinies pour respecter l’espace personnel de chacun, je me recule précipitamment lorsque je frôle quelqu’un involontairement. Lui, ça ne le gêne pas. Ca m’avait interpelé dès le premier cours : bien que son bureau soit assez long, nous étions souvent au coude-à-coude, nos genoux s’entrechoquaient, nos mains se superposaient, et il ne semblait même pas s’en rendre compte, lui qui était tellement attentif à tout le reste. Bien sûr, je me racontais que c’était un signe, sans trop y croire. J’avais préféré me dire qu’il était comme ça, tactile. C’était visiblement une erreur.

J’ai envie de penser que ça a commencé par un geste. Parce que dans le cas contraire, ça voudrait dire que j’ai dit quelque chose ou que j’ai laissé prendre la conversation prendre un tour inapproprié. Et ce serait ma faute. Mais les gestes, on n’y peut rien. Il y a donc eu cet élément déclencheur, quel qu’il soit, il y en a forcément eu un, parce qu’après on s’est regardés pendant un instant qui m’a paru durer des heures et je savais qu’il aurait suffi que je baisse les yeux vers le manuel, que je pose une question sur l’exercice et l’incident aurait été clos. Mais je n’en avais pas envie. J’avais envie de prendre une revanche, sans savoir sur quoi au juste. J’avais envie de goûter l’interdit que je m’étais si souvent représentée. Alors j’ai fermé les yeux et laissé mes lèvres se rencontrer, entre autres choses. En partant, je lui ai dit « à la semaine prochaine », en sachant bien que je ne le reverrai jamais.

Jeudi 27 mars 2014 à 0:33

Ça n’avait pas de sens. Je crois que c’était le constat de chacun d’entre nous. Du moins, ça n’avait pas de sens au niveau agrégé, vu de loin. On peut même dire que c’était une énorme connerie. Je pourrais placer ici quelques citations de Wilde pour justifier ce presque caprice, comme « les folies sont les seules erreurs qu’on ne regrette jamais », tout ce fatras New-Age et carpe diem, tout du pareil au même, toutes ces phrases incisives pour justifier nos désirs qui ne marchent que parce que ce sont des formules magiques pour conjurer la réalité. Moi je n’y crois pas. Moi, j’ai toujours su que c’était une connerie, depuis le jour où Alexandre a suggéré (avec la légèreté qui le caractérise, qui tient plus du Boeing 7047 que du colibri) que Thibaut me trouvait mignonne jusqu’au jour où Annabelle a renversé son thé sur mes genoux, avec le regard plus brulant encore que l’eau bouillante, ce qui a mis un terme, sinon à nos relations, au moins à notre amitié.

Ce qui est amusant, dans cette histoire où quatre destinées se sont entremêlées si inextricablement que seul un coup de ciseau ou un coup du sort pouvait y mettre fin, c’est qu’au fond tout n’a été accidents, ruptures manquées et encouragements étranges. J’étais la petite dernière dans l’écheveau, du coup j’ai eu droit au récit des trois protagonistes de départ, chacun me donnant sa version du passé, avec la part de réécriture rétrospective que cela suppose. Et ce qui revenait tout le temps, dans leurs bouches, ce sont les moments où ils avaient failli craquer, failli ne pas se rencontrer, failli se séparer, pour toujours bien sûr, et pourtant la trame avait tenue, ils continuaient à écrire leur histoire quand je suis arrivée et je commençais à me demander si ce n’était pas le destin. Cette histoire était inéluctable, et peut-être qu’il était fatal que j’y couse mes propres initiales afin que la destinée de cette histoire puisse pleinement s’accomplir, peut-être que j’étais destinée à être broyée parce que j’étais une intruse, un palimpseste. Et pourtant, je n’ai jamais voulu ça. Moi, ce que je voulais au début, c’était rejouer ma partition, celle que je joue depuis dix ans avec des hommes différents, si elle n’a le mérite de l’originalité, elle a le mérite de me rassurer, la petite musique que je me joue pour m’endormir. Je ne voulais pas entrer dans leur histoire, elle n’avait pas été écrite pour moi.

Et pourtant j’y suis entrée, mon bras a été happé par le métier à tisser. Alors quitte à tomber, autant le faire avec éclat. Et des éclats, des échardes, des aiguilles, j’en ai pris, et en plein cœur. J’ai embrassé leur histoire et ils m’y ont attirée, je n’ai pas su résister. Lorsque j’ai rencontré Thibaut et Annabelle, c’est comme si je les connaissais depuis toujours. Ca non plus, ça n’avait pas de sens. Passé le moment de gêne initial après les présentations, je me suis sentie intime avec eux deux et pourtant je ne savais pas quoi leur dire, ce qui était privé ou pas, ce que je pouvais partager avec eux ou pas. Je voulais tout leur dire et je ne voulais pas trop en dire, je voulais leur exposer mon âme et je ne les connaissais pas assez pour savoir si cela leur ferait peur, si j’allais trop vite trop fort trop loin, si c’était encore moi qui rejouais ma partition où je ressentais mes émotions trop intensément. Mais je n’étais pas la seule. Ca, ça avait du sens.

Lorsque j’ai rencontré Thibaut et Annabelle, Thibaut surtout m’a plu. Je ne sais pas si c’était la familiarité de situation ou la familiarité d’âmes, je ne sais pas si nous nous sommes naturellement glissés dans des rôles qui nous attendaient, mais j’avais tellement envie de mieux le connaitre, de ne pas laisser cette rencontre se perdre dans les Limbes. Moi qui avais tout fait pour fuir cette histoire de fous, j’ai demandé à être nouée avec eux, sur leur trame, je m’y suis attachée avec eux et ils m’ont laissée faire. Peut-être qu’ils se sont dit que ça avait du sens. Peut-être qu’ils ne se sont pas rendus compte que je joue ma partition trop vite, que je saute des notes. Et c’est ainsi que moi, l’enfant gâtée, j’ai endossé la responsabilité de prendre soin de trois autres personnes, intimement liées les unes aux autres, et moi avec.

J’avais cet appétit d’eux, cette faim, cette curiosité dévorante. Vous savez ce que c’est, lorsque vous rencontrez quelqu’un et que les fils qui vous unissent se délitent parce qu’ils ont été noués à la hâte, parce que vous n’en avez pas pris soin. J’ai tout fait pour que ça n’arrive pas avec ces deux-là. Et avant même que je ne comprenne ce qui m’arrivait, j’étais liée à Thibaut. Je ne l’avais ni anticipé ni désiré. Me lier à Thibaut, ça semblait n’avoir aucun sens. Ca semblait une terriblement mauvaise idée. C’est peut-être pour ça qu’elle nous a tous séduite. Me lier avec Thibaut, ça n’avait aucun sens, mais les liens entre Annabelle et Alexandre, entre Alexandre et Thibaut n’ont jamais eu aucun sens, alors… C’est parce que c’était une mauvaise idée qu’Annabelle et Alexandre nous ont poussé dans les bras l’un de l’autre. Peut-être qu’ils espéraient se sentir moins coupables en nous enjoignant à faire cette erreur. Erreur, oui, mais si douce…

Je le répète, jamais nous n’aurions envisagé de commettre cette erreur sans l’intervention des deux autres. Ça peut sembler innocent, des petites remarques anodines, mais c’est exactement la chair de leur histoire : des petits riens qui peignent une grande fresque. Alexandre m’a dit que Thibaut me trouvait mignonne. Annabelle a dit à Thibaut que le texto que je lui avais envoyé signifiait probablement que je le draguais (comme si j’avais jamais été capable de draguer quelqu’un dans ma vie). Et c’est à partir de ces deux détails que sans nous en rendre compte, Thibaut et moi avons commencé à tisser notre propre motif, à flirter sans oser nous l’avouer. Ça aurait dû nous inquiéter. L’un de nous aurait dû cesser, se dire que ce n’était pas convenable, qu’on courrait droit à l’inéluctable catastrophe. Annabelle ou Alexandre auraient dû nous dire « on va jamais s’en sortir, ça n’aurait aucun sens ». Mais ils ne l’ont pas fait. Au contraire, ils se sont réjouis, ils ont trouvé ça mignon. C’était presque frustrant d’ailleurs. Cette affaire n’avait pas de sens à l’échelle des quatre protagonistes, mais pour moi elle avait du sens. Dans cette histoire à quatre où je ne maitrisais rien, au moins je pouvais maitriser ma relation avec Thibaut, je pouvais prendre ma revanche contre Alexandre. J’avais cette rage en moi, de leur montrer que j’étais, de quoi j’étais capable, je voulais leur montrer que moi aussi j’avais mon chapitre à écrire dans cette histoire.

Ca aurait pu durer des années. On aurait pu devenir les meilleurs amis du monde, des confidents. On aurait pu en rester là, à ce flirt, à cette mauvaise idée esquissée dans la brume. On aurait pu renoncer, on aurait pu comprendre que c’était une terrible idée. Mais on a choisi de passer outre, on a choisi d’aller au devant des problèmes. C’était presque naturel, dans un sens. On avait le choix, et on a choisi de faire n’importe quoi. C’était tellement plus amusant, de sentir cette toile étendue jusqu’à la rupture, vibrant des émotions de chacun d’entre nous, un subtil mélange de transparence et de non-dits, de partage et de rancoeurs. Ils disaient que tout pouvait bien se passer tant qu’on restait honnêtes les uns envers les autres, une sorte de transparence radicale, qui rampait dans tous les aspects de nos vies. On aurait pu finir par prendre une maison à quatre, fusionner. Mais c’était trop difficile, trop de fiel dans mon cœur. Peut-être que j’étais le maillon faible. Ou peut-être que j’étais la mèche qui a enflammé notre toile. Je n’étais pas la plus faible. Mais j’étais la plus triste. Enfin, c’est facile d’écrire ça, tous les quatre, on en a tous soufferts. Pendant toute cette histoire, chacun de nous mourrait à petit feu.

On avait établi des règles, parce qu’on avait pas le choix. Aussi proches que sont deux personnes, elles ne peuvent jamais devenir une. Nous n’avons jamais pu devenir un, pas totalement, et je crois que c’était ça le plus triste. Aussi fort qu’on aime une personne, on ne peut jamais coïncider avec elle. Il y avait trop de paramètres, trop de sensibilités, trop de désirs.

Je ne le savais pas encore, mais j’étais un cheval de Troie, je portais en moi la colère de mille femmes bafouées, je voulais leur faire payer, à tous, leur bonheur, leur complicité, je voulais leur faire payer de m’avoir mise face à moi-même, cette personne détestable et laide et qu’ils aimaient quand même. Dans un sens, je n’ai pas fait exprès. J’avais tellement envie d’eux, je voulais tellement m’oublier en eux, me laisser porter par l’absurdité et l’ivresse des sens, je voulais me dissoudre. Mais l’instinct de survie est trop fort. Alors presque malgré moi, je les ai détruits pour rester entière. J’ai savamment tranché leurs liens, je me suis immiscée dans leurs âmes comme je sais si bien le faire et au final c’est moi qui ai gagné. Je gagne toujours. Mais je ne gagne rien, à part des ruines. Annabelle a renversé son thé sur mes jambes et elle avait raison, je crois qu’elle s’en voulait de ne pas avoir vu le démon tapi dans mes sourires. J’ai détruit l’amour entre eux parce que j’en étais exclue, parce que je pensais que personne n’avait le droit de s’aimer alors que je me détestais autant.

C’était à prévoir. Ça n’aurait jamais dû marcher. Ca ne marchait que parce qu’Annabelle et Thibaut convergeaient l’un vers l’autre. Moi, je préfère le chaos à l’harmonie.

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