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Mercredi 8 février 2012 à 12:54

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Elle avait finit par prendre sa décision (acculée par la langueur, trahie par son corps dégoûté), ou plutôt, pour mettre en application sa décision, sa volonté de partir était établie depuis longtemps.
Pour Aurélien, ça avait été facile. Il suffisait de ne pas répondre à ses messages épisodiques. De toute façon, c’était fini depuis longtemps, c’est juste qu’ils faisaient semblants.
Pour son Prince, elle aurait voulu organiser la rupture, pour le préparer en douceur, attendre le bon moment… Il n’y a jamais de bons moments. Elle avait aimé suffisamment de fois pour ne pas avoir l’impression de laisser un morceau d’elle-même en le quittant, peut-être qu’à force d’aimer elle était devenue frileuse, avare d’elle-même, peut-être qu’elle attendait cet instant depuis suffisamment longtemps pour avoir ramassé tous les morceaux qu’elle avait semé dans le cœur de son partenaire. Mais finalement, les mots lui échappèrent. Ils sortaient les uns après les autres, précipités, compacts. C’était pourtant une soirée comme les autres, ils étaient chez lui, attablés, ils parlaient de leur journée, de leurs travaux de recherche, des imbéciles qu’ils avaient croisés, et soudain elle dit, elle s’entendit dire « je veux rompre ». Il lui lança un regard un peu peiné et résigné, ils échangèrent quelques paroles creuses pour combler le vide qui venait de s’engouffrer dans leurs vies, elle répondit aux inévitables questions avec un peu de vérité, un peu de silence et un peu de mensonge, elle tentait de laisser derrière elle une plaie propre, nette, facile à cicatriser et la vérité importe peu dans ces cas-là, et ils se dirent au revoir. C’était aussi simple que ça.
Enfin libre, elle rentra chez elle. Soulagée. Dès le lendemain, cette histoire lui semblait appartenir à un passé lointain.

Mercredi 8 février 2012 à 12:50

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Elle s’ennuyait. Et comme tous les gens qui s’ennuient, elle rêvait de s’envoyer en l’air. Oublier qu’elle était censée être lisse et polie et plaquer les deux hommes qui rongeaient sa vie par texto, par soupirs, par post-its sur le frigo. Pas de drames, pas de larmes. Elle se disait qu’elle devrait disparaitre, réapparaitre à des lieues de là, lourde de ses histoires qu’elle pourrait conter le soir à des amis de passage, comme une histoire inventée, elle pourrait être une barde des temps modernes. Elle pourrait même tout avouer à son Prince, son officiel, l’ex-homme de sa vie, laisser en évidence une preuve compromettante de sa double vie, de sa trahison, pour lui laisser la satisfaction de la confondre. Et puis elle se dit qu’il serait capable de lui pardonner, de la supplier ou d’exiger, ce n’était pas la peine.
Et quelle double vie, en effet. C’était plutôt une demi-vie, une vie sous assistance respiratoire, une vie qui n’en finit pas d’agoniser.
Elle ne voyait presque plus Aurélien, elle redoutait leurs rendez-vous et pourtant elle guettait ses coups de fils, ses rares attentions, car penser qu’il était sous sa coupe était trop confortable pour qu’elle renonce facilement à cette idée. Leurs étreintes étaient brèves, expédiées, décevantes.
Quant à son officiel, elle frissonnait de dégoût quand il la touchait (non, ce n’était pas du dégoût, juste une lassitude physique, une saturation de l’épiderme qui brulait de se tordre sous d’autres mains), mais elle le laissait faire, elle voulait avoir la paix. Avec lui, elle ne se sentait plus vivante.
Alors elle fuyait, elle allait dans l’appartement de l’officiel quand elle savait qu’il ne s’y trouvait pas, feuilletant ses livres, lovées sur le canapé, humant l’odeur familière et écœurante de son Pygmalion, elle partait en catimini avant son retour. Partir, ça elle savait faire. Mais elle n’avait pas encore le cran de partir pour de bon, sa vie sonnait creux mais elle était douillette.

Vendredi 2 décembre 2011 à 13:48

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Elle refusait de se sentir coupable, après tout il suffit de tout compartimenter, il suffit de ne pas y penser. La morale, c’est pour ceux qui sont assez faible pour s’y soumettre. Elle voulait se sentir libre et se sentir rassurée, et seul le trio bancal qu’elle avait constitué parvenait à la satisfaire à moitié. Certes, elle n’avait rien à faire avec Aurélien, ils ne pouvaient pas sortir (peur d’être vus et d’être reconnus par des connaissances), ils n’avaient rien à se dire et elle n’avait plus envie de lui, son corps était trop vieux, trop pesant. Si elle avait pu se laisser emporter pendant quelques temps et oublier leur différence d’âge, ou du moins s’en jouer, jubiler à l’idée de balayer les codes, de tricher ; rapidement elle s’était lassée de l’exotisme, comme elle se lassait toujours. Ils n’avaient pas les mêmes centres d’intérêt, les mêmes préoccupations. Alors elle meublait, lisait avec délice en priant pour qu’il cesse de se plaindre de sa future ex-femme, c’était comme un grand frère un peu encombrant, sauf qu’elle ne pouvait le présenter à personne. Mais elle aimait l’idée d’avoir une vie cachée, et puis elle n’aimait pas rompre, elle n’aimait pas laisser des cadavres, briser des cœurs ça fait des saletés. Alors elle soupirait en silence, dans son for intérieur, elle recommençait à rêver, comme elle l’avait toujours fait.
Ni Aurélien ni l’officiel ne se doutaient qu’elle s’était lassée, d’ailleurs son ancien professeur avait pris l’excitation qui avait accompagnée le début de l’aventure Aurélien pour un nouveau souffle à leur histoire. Elle donnait bien le change. Ils parlaient un peu, s’embrassaient un peu, peut-être qu’ils vivaient un peu ensemble, et ils s’entendaient bien. Pour lui, c’était une vraie histoire d’amour, patinée par le quotidien. Pour elle, c’était sympa. Bien sûr, elle se sentait un peu coupable, car elle savait que c’était encore elle qui avait failli, elle qui avait succombé à ses névroses, elle qui s’était encore lassée. Alors elle restait, pour préserver l’illusion, et parce qu’elle avait trop rêvé de lui pour ne pas s’accrocher encore un peu.

Vendredi 2 décembre 2011 à 13:45

 
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Ça s’est fait très vite. De toute façon, si ça ne s’était pas fait vite ça n’aurait pas pu se faire. A cause de la morale et équivalents, parce que quand on commence à réfléchir on ne peut plus rien faire, on est paralysé. Et puis c’est une fonceuse, le genre « ça passe ou ça casse », le genre à mettre ses tripes sur la table, parce qu’elle a ce besoin d’être acceptée, irrémédiablement, dès le premier regard. Conquérir ou passer son chemin.
Evidemment, c’est Aurélien qui a fait le premier pas, c’est lui qui a pris le risque de s’assoir à sa table. Elle, elle n’a pas suffisamment confiance en elle, elle n’a pas assez d’assurance pour tout tenter avec un tel naturel, avec désinvolture. Et peut-être qu’on lui avait appris à être comme ça, comme une fille. C’est surtout lui qui a parlé, comme s’il avait quelque chose à prouver à cette fille qu’il croise toujours le nez dans un bouquin, comme s’il voulait lui montrer qu’il n’était pas moins valable en tant qu’être humain. Et elle l’a laissé faire, par timidité, et parce qu’elle a toujours peur de froisser. Et pour ne pas aborder les questions gênantes. Bien sûr, Aurélien avait aussi sans doute des cadavres dans le placard, ça se voyait à la marque que son alliance avait laissée.
Ça s’est fait très vite et très vite ils se sont embrassés, elle l’avait laissé prendre l’initiative avec des atermoiements de chat, elle pouvait bien jouer avec lui puisqu’elle était en terrain conquis (les regards qu’Aurélien lui lançait ne laissaient aucun doute là-dessus), elle savourait son succès immédiat, inconditionnel : il était à elle. Et comment aurait-il pu en être autrement, un homme de deux fois son âge, hanté par le sablier, qui repousse le moment de regagner le foyer… En le laissant s’assoir à sa table la première fois, elle avait déjà gagné.
Une victoire de dupes sans doute : elle lui plaisait parce qu’elle était jeune, il lui plaisait parce qu’elle lui plaisait. Rien de glorieux là-dedans, rien de l’héroïque de la relation amoureuse qui pourfend les interdits moraux et la différence d’âge, rien de l’élection réciproque de deux âmes. Le hasard et les névroses, c’est ça qui les avaient réunis. Mais peut-être que ce n’est pas très différent des histoires d’amour ordinaires.
Et leur liaison a commencé sur les chapeaux de roue, carburant à l’interdit, à l’ivresse de la nouveauté, ils se découvraient l’un l’autre avec rage, avec excitation, avec passion, ils ne se rendaient pas encore compte encore qu’ils n’avaient rien d’autre en commun que leur besoin réciproque d’exister par le regard d’un autre, ils ne se rendaient pas compte qu’ils ne s’intéressaient pas réciproquement. Mais qu’importe après tout, une aventure, ce n’est pas destiné à durer, parce que c’est interdit et parce que mentir c’est fatigant, parce que ça s’use vite, parce qu’ils étaient trop affamés pour ne pas chercher rapidement une nouvelle proie. En attendant, ils s’amusaient comme des fous.

Samedi 22 octobre 2011 à 15:23

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Et tout s’était passé comme prévu. Quelques mois de plus, l’étincelle s’était éteinte, ses sentiments pour lui refluaient comme des vagues. Certains matins, elle se levait obsédée par la présence pesante de Nathan, étouffée par ses attentions un peu distraites, par sa gentillesse fade et lisse comme de la guimauve, par son attachement confiant, elle se disait qu’elle devrait en finir, ne plus feindre, pour leur bien à tous les deux. Elle redoutait leurs rencontres comme un rendez-vous chez le dentiste : désagréable et inévitable.
Et d’autres matins, elle se sentait baignée d’affection pour lui, rassurée par les bras qui l’entouraient lorsqu’elle dormait encore, elle s’en voulait de jeter l’éponge, de ne pas faire d’effort. C’était une passion tranquille, une histoire de plus. Et puis elle avait rencontré Aurélien.
Aurélien n’était personne, juste un type qui prenait souvent un verre dans le café en face de chez elle, où elle allait souvent travailler (elle aimait le style que ça lui donnait un paquet de cigarettes échoué sur la table, un café viennois, des feuilles éparpillées, un livre à la main, un cahier ouvert devant elle. Elle se disait que cela lui donnait l’air d’une jeune intellectuelle.).
Aurélien s’installait au café vers 3 heures, presque tous les jours ouvrables, avec des collègues, et il commandait invariablement un expresso, et ils restaient là faire traîner le temps, une demi-heure, une heure, à tenir des discussions animées et insignifiantes, avant de retourner au bureau. Ils la dérangeaient. Leurs conversations bruyantes et leurs rires l’empêchaient de travailler, alors quand ils étaient là, elle ne pouvait s’empêcher de lever la tête de son ouvrage et laissait son regard se poser sur l’un ou sur l’autre, distraitement. Aurélien venait parfois seul, vers 17h ou 18h, les yeux dans le vague, avec l’air de simplement retarder le moment de la regarder. Et il la regardait. Longuement, calmement, comme s’il cherchait à déchiffrer son visage. Et elle finit par apprécier ces yeux posés sur elle.

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