cigarette-and-coffee-milk

Dimanche 2 mars 2014 à 20:43

Elle était étendue sur le lit, habillée de la seule lumière bleutée du crépuscule. Tout était calme, je suppose que la ville était endormie depuis plusieurs heures déjà. Nous étions peut-être les deux seuls encore éveillés – elle avait les yeux fermés mais je sentais qu’elle n’était pas endormie encore –, en tous cas c’est ce que j’avais envie de croire, nous seuls mystérieusement épargnés d’un sommeil magique qui se serait abattu sur tout être humain, un début prometteur pour une quête fantastique dont elle et moi serions les héros. A défaut, nous profitions de ces instants volés au lendemain.

C’était la première fois qu’elle m’invitait chez elle. J’avais accepté étourdiment, j’ai confondu cette invitation avec un euphémisme, parce que pourquoi une jeune femme inviterait un jeune homme chez elle seul un soir ? Je n’aurais pas pu me tromper davantage. Pourtant, les événements ont commencé sous les meilleurs augures. En arrivant chez elle, elle avait laissé tomber ce qu’elle portait, y compris sa robe, et elle avait allumé quelques bougies (« ça va bien avec la Lune » avait-elle dit). Quand j’avais fait mine de l’embrasser, elle m’avait repoussé avec l’air presque indignée, comme si elle me reprochait d’avoir eu l’arrogance de l’approcher. Elle ne m’en a pas tenu rigueur cependant et moi je n’ai pas insisté, intrigué par ses préparatifs. Elle tournoyait dans l’appartement, déplaçant des objets, ouvrant et fermant des tiroirs, à un moment elle a mis de l’eau à chauffer mais elle ne s’en est servie pour aucune préparation, elle a mis à bruler un peu d’encens dont le parfum me donnait l’impression d’être en feu. Elle ne répondait à aucune de mes questions, à un moment elle m’a simplement fait signe de m’assoir sur un coussin posé au sol, je crois que c’était surtout parce que ma fébrilité la dérangeait. Elle a fini par paraitre satisfaite. Alors elle a disparu dans la salle de bain, et a verrouillé la porte comme pour me décourager de la suivre.

Quand elle en est sortie, elle portait une grande robe blanche, ample et bruissant, un diadème en argent et un bracelet forgé dans le même métal enserrait son biceps. Elle s’est assise sur un autre coussin, face à moi, en souriant doucement. Il me semblait qu’elle se balançait insensiblement, mais peut-être que c’était juste ma tête qui tournait. L’atmosphère était loure de l’encens et de ses préparatifs. Elle semblait attendre quelque chose. Puis elle a soupiré et a repris la conversation que nous avions interrompu en entrant dans l’appartement. Je lui ai jeté un long regard interrogatif, je ne comprenais pas où elle voulait en venir, elle m’a ignoré, elle me posait des questions anodines auxquelles je répondais avec distraction, alourdi par une torpeur que la fatigue n’expliquait pas entièrement. La conversation a pris un tour plus intime à mesure que la nuit avançait, je lui ai raconté des choses que je n’avais jamais dites à personne, et des souvenirs d’enfance, j’ai eu le sentiment qu’elle me racontait tous ses secrets. J’avais le sentiment que je pouvais tout lui dire, que j’aurais pu tout lui dire, lui avouer un meurtre, un inceste, elle aurait accueilli mes propos sans sourciller, sans me juger.

Nous avons fini par aller nous coucher, elle a soufflé les bougies et elle a retiré sa robe et ses bijoux lentement, et les a soigneusement déposés sur sa coiffeuse avant de s’allonger à mes côtés. Je me sentais hébété et mystérieusement anxieux, j’ai mis longtemps à trouver le sommeil, et je crois qu’elle était encore éveillée lorsque j’ai fini par perdre conscience.

J’avais le sentiment de n’avoir dormi que quelques instants quand elle m’a secoué pour que je parte, elle m’a tendu mes affaires sans ménagement et m’a pratiquement poussé dehors, je n’avais pas encore enfilé mes chaussures que j’étais déjà sur le palier. Toute chaleur avait disparue de son visage, notre complicité de la veille s’était envolée, seule persistait la lourde odeur d’encens de la veille. Je crois que j’ai participé à un rituel à mon insu, et dont j’ignore tout.

Je l’ai revue il y a quelques semaines, elle était enceinte.

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