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Mardi 19 novembre 2013 à 17:04

« Les rapports amoureux sont devenus très volatils, le lieu de l’ambivalence, du risque, de l’incertitude. Par exemple, la question de l’intention des partenaires au début de la relation reste en suspens, n’est pas géré par des codes et des rituels sociaux qui permettent de naviguer sur les grandes eaux troubles de l’incertitude. »[1]
Alors il buvait un verre, et je buvais un verre, et je me demandais à quel jeu on jouait. Est-ce que j’étais la seule à jouer ou est-ce qu’il jouait aussi, j’avais besoin de savoir parce qu’il parait qu’il faut être deux pour danser le tango, mais c’est le genre de jeu qui prend fin quand on en énonce les règles. Tout parait si simple dans les films, quelques soient l’indifférence ou les hésitations feintes par les deux protagonistes après le premier baiser, le spectateur a la douce certitude qu’à la fin ils finiront dans les bras l’un de l’autre, enfin apaisés. Mais ici c’est la vraie vie et le premier baiser n’est que le préliminaire rapidement expédié au profit d’une petite baise rapide et hygiénique. Dès le premier regard, j’ai confondu ça avec un coup de foudre, une belle histoire que je pourrais raconter dans dix ans, parce que c’était lui parce que c’était moi, comme un conte qui serait arrivé à quelqu’un d’autre. On aurait suivi toutes les étapes, toutes les péripéties, on se serait plu, séduction à l’ancienne, des obstacles à surmonter évidemment, peut-être un malentendu épique, il m’aurait vu avec mon cousin et m’aurait confondu avec une fille sans attache, il aurait été froid avec moi sans que je comprenne pourquoi ; il aurait été engagé auprès d’une autre et il l’aurait abandonnée devant l’autel ou devant l’hôtel parce que j’aurais été la seule à le faire se sentir vivant ; on aurait renoncé à une opportunité professionnelle l’un pour l’autre ; on aurait renoncé à notre liberté pour vivre quelque chose de grand. Ou alors ça aurait été comme un courant électrique entre nous, une attirance magnétique qui aurait fait taire tout le monde autour de nous à chaque fois qu’on se croise. Peut-être simplement que je l’aurais pris pour un crétin, il aurait cru que j’étais arrogante et des circonstances nous auraient rapprochés et on aurait découvert que nous étions fait l’un pour l’autre. N’importe quoi.
Mais notre histoire, c’était une nouvelle, un clip. On s’est plu, séduction moderne, l’affaire a été conclue comme une soirée et on s’est jamais rappelés. Tout y était pourtant, le choc du premier regard, la connivence entre nous et les sourires en coin. Ça ressemblait à une histoire d’amour mais ce n’était qu’un accident, un événement contingent, il est parti en ramassant ses affaires, un peu gêné, comme après une soirée arrosée, un malheureux malentendu, une erreur.
Et on s’est revus, et ce n’était même pas gênant, tendu, j’avais le cœur qui battait plus fort et lui, il m’a juste fait un signe de tête, comme on salue une vague connaissance. Et on s’est revus et c’était comme s’il ne s’était rien passé, la connivence entre nous et les sourires en coin, mais ce n’était rien, nullement le prélude d’étreintes passionnées et de nuits de discussions chuchotées, seulement la marque d’une camaraderie forcée, des collègues qui prennent un café ensemble tous les matins pour tuer le temps, des mots polis, de circonstances. Pas d’intimité, pas d’évolution possible, pas de plan cul qui devient un plan couple, c’était juste une étreinte de commodité, parce que l’instant s’y prêtait et que trois putains de planètes étaient alignées, juste un fantasme dissipé au premier coup de reins.
Il buvait un verre et je buvais un rêve et je voulais tendre le bras pour le toucher, comme pour m’assurer de sa présence, et goûter la texture de sa peau et déjà il se détournait pour saluer quelqu’un d’autre, poursuivre une autre conversation, pour jeter son gobelet en plastique, pour rejoindre une vie dont je ne faisais pas partie, où je n’avais pas ma place.
 


[1] Journet Nicolas, « rencontre avec Eva Illouz : tourments d’hier, tourments d’aujourd’hui », Sciences humaines, Grands dossiers n°32, sept-nov 2013, lien

Samedi 16 novembre 2013 à 22:45

Toi qui me brûles. Je pensais que j’avais passé l’âge. Passé l’âge du cœur qui bat trop fort, des soupirs et de la langueur, de l’obsession pour un inconnu, de l’attente. Je pensais que j’étais devenue, sinon plus sage, au moins plus distante. Je pensais ne plus être cette personne, celle qui meurt de ton absence. Je pensais qu’à force, je pourrais m’arracher le cœur. Je l’ai tellement affamé qu’il est désormais prêt à tout accepter, n’importe quelle histoire d’amour sordide, n’importe quel écho de passion, à quêter toutes les miettes d’affections que tu pourras lui donner, il les chérira comme des trésors.
Je suis à nouveau cette fille que je déteste, qui chevauche la brume de ses fantasmes, avec toi l’étranger en acteur principal. Tu serais celui que j’ai toujours attendu, un homme sur mesures, un homme à ma mesure, et même si je sais que je me mens au fond qu’importe, je te veux tout entier, qui que tu sois, je veux te dévorer, te faire mien, je te veux à m’asphyxier pour ne plus affronter la réalité. Mon désir de toi me laisse un goût iodé sur la langue.
Je ne sais pas comment te déchiffrer, je n’ai jamais été très douée aux jeux de l’amour, je suis plutôt du genre à me jeter à cœur perdu sur le premier venu, balancer mon affection par-dessus-bord. Parfois je refais surface après deux goulées d’eau salée. Parfois je me laisse couler. Je voudrais te dire que je me noie, je voudrais te demander d’être ma bouée, mais qui pourrait aimer une fille aussi paumée. Je me dégoute trop pour t’exposer mes poumons plein d’eau.
J’aimerais croire que ton indifférence n’est que calculée, j’aimerais croire que toi aussi tu es un célibattant, c’est-à-dire un mec qui comme moi a des problèmes affectifs, comme dans la chanson[1]. J’aimerais lire entre les lignes, lire ton regard, ce que tu attends vraiment, avoir des certitudes pour tirer des traits sur mes rêveries, sur la brume. J’aimerais une discussion à cœur ouvert, te dire « cessons la quadrille, dis-moi ce que tu veux ». Je n’ai jamais eu la patience d’attendre que le brouillard se dissipe. Mais cela te ferait fuir à coup sûr.
Je brûle de te savoir si proche, à portée de mots, mais de me taire de peur de paraitre trop empressée ; je brûle de te sentir si proche, à portée de mains, mais de ne pouvoir te toucher. Je brûle de ton absence, à portée de rêve, mais de ne pouvoir te retenir lorsque je te croise. Je brûle d’un amour artificiel, qui s’est enflammé trop vite, sans raison ni retour, les cendres et l’eau se mêlent en un fiel qui ronge mes pensées. Je ne suis plus que fumée. Je brûle de ne pas sembler trop attachée et la peur de ne pas le paraitre assez, je brûle de ne rien faire, je brûle de faire une erreur.
Je voudrais juste que tu m’envoies une bouteille, même vide de tout message. Je voudrais juste que tu traces dans le brouillard le code pour te comprendre.

Mardi 24 septembre 2013 à 16:09

Dès le premier regard, il m’avait plu. Très vite, ça avait été l’amour à 100 à l’heure, le grand, un brasier, les feux d’artifices, le big bang. Lui et moi, on s’était vraiment aimé, à graver son nom sur ma peau, à lui passer la bague au doigt. Et puis les cendres, mon cœur s’était arrêté de battre pour lui. La plante qu’il m’avait offerte, clairvoyante, est morte quelques jours plus tard. J’avais cessé de l’aimer aussi rapidement que j’étais tombée sous son charme, comme un coup de foudre. Forcée de mettre fin à cette parodie qu’était devenue notre histoire, j’étais effondrée. Six mois plus tard, c’était toujours comme si on m’avait amputée d’une partie de moi-même. J’avais beau ne plus l’aimer, j’avais perdu du jour au lendemain le miroir dans lequel je reflétais mon quotidien, mon complice, la personne qui me disait que mon existence avait de la valeur, mon grand frisson. Six mois sans nouvelle, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Mais parfois, je me disais qu’on aurait dû continuer à jouer la comédie, moi faire comme si je l’aimais comme avant, lui faire comme s’il ne remarquait rien. Parfois, tout me semblait préférable à cette perte.
Et il est là, devant moi. Il fallait bien que nous nous retrouvions un jour. Lui et moi, au même endroit, quoi de plus naturel. Moi, le prenant dans mes bras, lui tendant mes lèvres, quoi de plus naturel. Son corps était imprimé en moi et toutes mes cellules aspiraient à rejouer le ballet de notre histoire, les pas familiers qu’on danse avec la personne qui partage notre vie. Mais je ne pouvais pas, je n’en avais pas le droit. Je me suis figée en plein milieu de l’entrée, obstacle imprévu du flux et du reflux des invités qui m’évitaient avec grâce, comme si je n’étais rien de plus qu’une statue soudainement dressée entre le porte-manteau et le meuble à chaussures. Je voulais l’embrasser, je voulais garder mes distances, je voulais lui parler, je voulais sortir. J’étais pétrifiée. Je voulais qu’il me voie, que ses yeux me disent ce que je devais faire, je ne pouvais pas faire le premier pas, je ne pouvais pas lui imposer la marche à suivre. Mais il regardait ailleurs et je ne pouvais pas lui faire signe, pas sans que nos douloureuses retrouvailles deviennent le point de mire de la soirée. Faute de meilleure idée, je me suis mise à pleurer, aussi discrètement que possible. Bien sûr, je ne voulais pas qu’il me voie pleurer, c’était déjà arrivé trop souvent par le passé et il pourrait se méprendre. D’ailleurs je déteste pleurer en public. J’ai l’impression de me donner en spectacle, exposant ma faiblesse à la ronde. C’est un coup à se faire harceler de questions auxquelles je n’avais pas envie de répondre, parce que c’est compliqué, c’est personnel et parce qu’on a la voix entrecoupée de sanglots. Mais répondre aux questions, c’est la seule façon d’avoir la paix, pour que les autres aient l’impression d’avoir aidé. Mais pleurer, ça n’arrive que lorsqu’il n’y a rien d’autre à faire.
En tous cas, si je réussissais à réprimer les sanglots les plus bruyants, toutes les personnes qui me frôlaient ne pouvaient pas ne pas se rendre compte de rien, d’autant que je mettais arrêtée brusquement. Déjà je voyais dans les yeux d’un invité l’éclair de panique qui s’allume lorsque quelqu’un pleure sans qu’on sache pourquoi. Cette personne, je la connaissais vaguement, mais comment aurait-elle pu comprendre ce qui se passait ? Pour elle, Simon c’était du passé, et d’ailleurs je n’étais pas sûre qu’elle l’ait rencontré, elle ne risquait pas de le reconnaitre. Je cherchais des yeux un refuge, une alcôve pour reprendre mes esprits. Quelqu’un allait donner l’alerte.
Soudain, il s’est tourné vers moi. Peut-être que quelqu’un l’avait prévenu, peut-être qu’il avait senti ma présence. Il s’avançait vers moi à grandes enjambées, j’en fis de même pour me fondre dans la foule. Je ne sais si c’était parce qu’il était trop familier de mes yeux gonflés et de mon nez bouché, mais c’était comme s’il avait tout de suite compris la situation. Il a passé un bras autour de mes épaules, attirant mon visage contre son torse, un gentleman. Il m’a conduite à la salle de bain, qui était vide, les invités n’avaient pas encore assez bu.
Je suis entrée dans la salle de bain, il est entré à ma suite et a fermé la porte sur nous. Dans un premier temps, je détournais la tête, refusant de lui imposer le spectacle de mon visage en train de fondre. Je regrettais que le premier aperçu qu’il ait de moi après tout ce temps soit aussi pitoyable. Puis je me rappelais qu’il m’avait déjà vue ainsi plus souvent que je ne l’aurais voulu, et qu’il était donc inutile que je lui offre mon dos. Je lui fis donc face. Il aurait pu sourire de ma pudeur si ses yeux n’étaient pas si plein de compassion. Il respectait mon silence, il savait que je n’aimais pas parler et sangloter en même temps, mais il savait aussi que je ne me calmerais que lorsqu’on aurait crevé l’abcès. Il me demanda donc d’une vois douce ce qui se passait. Je secouais la tête, il n’était pas dupe, il me relançait. Je ne voulais pas lui dire, je ne voulais pas lui avouer qu’il me manquait, lui parler de l’affection que je lui portais. J’aurais eu l’impression de le prendre en otage, de lui proposer de reprendre notre relation de façon malhonnête, non pas pour notre bonheur mais uniquement pour le mien, j’avais peur de m’en lasser en quelques semaines. J’avais l’impression de jouer le rôle de la victime alors que j’étais le bourreau (déjà lors de notre rupture, c’est lui qui m’avait consolé), que je n’avais pas le droit de souffrir. Mais je lui devais la vérité, pour sa sollicitude et pour notre histoire, parce que je lui avais caché trop longtemps aussi. J’essayais donc de lui décrire aussi justement que je pouvais mes sentiments, sans complaisance pour mon égoïsme (il m’avait aimée avec tous mes défauts après tout, il me connaissait mieux que quiconque), et mes scrupules. J’espérais qu’à tout moment il m’interromprait, il me dirait « je ne t’aime plus », « je suis avec quelqu’un d’autre », « je t’ai oubliée », pour que je puisse tourner la page. Je me disais que si ces sentiments me restaient, c’était parce que personne ne l’avait remplacé dans ma vie, que sans nouvelle je l’avais imaginé virtuellement disponible et éperdument amoureux, un petit ami de rechange en cas de coups durs. Mais il n’en fit rien. Il m’a ouvert son cœur. Ce qu’il m’a dit n’a pas d’importance, qu’il m’aime encore ou pas, tout ce qui comptait c’était que nous pouvions enfin parler. Et il a fini par me dire que s’il ne se faisait pas d’illusion, il me proposait que nous recommencions à nous voir, à faire partie de la vie l’un de l’autre, en amis, et nous verrions bien. Nous verrions bien si nous étions faits l’un pour l’autre, finalement.
C’est comme ça que les choses se serraient passées dans un conte de fées. Mais dans ce monde-ci, il referma simplement la porte de la salle de bain derrière moi et partit rejoindre les invités, me laissant avec mes doutes, se félicitant sans doute de ne plus être en couple avec une femme aussi émotive.

Lundi 23 septembre 2013 à 12:31

Pendant qu’il regardait son verre d’un air absent, j’essayais de trouver quelle erreur j’avais faite. Je ne suis pas un mec romantique. En tous cas, je ne suis pas du genre à tirer des plans sur la comète après une seule nuit, aussi délicieuse soit-elle. Ni après les suivantes, d’ailleurs. Je n’attends pas grand-chose d’une rencontre heureuse. Juste un peu d’attention. Et c’est ce que je faisais à ce moment précis. En pure perte. Je m’écoutais raconter des anecdotes toujours plus insignifiantes, ponctuées de rires faux. Je transpirais le malaise. D’ailleurs, je ne cherchais à tromper personne. Mon interlocuteur ne m’écoutait pas assez pour cela.
J’avais l’impression qu’il était venu à ce second rendez-vous le couteau sur la gorge, et qu’il aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs. Non, même pas. Il était loin, depuis les bises vides qu’il avait plantées sur mes joues jusqu’à cet instant. Il était là comme on rend visite à un vieux parent sénile, quand on regarde sa montre comme une œuvre d’art mystérieuse et fascinante qui mobilise toute l’attention, jusqu’à ce que la durée minimum syndicale se soit écoulée et qu’on bondisse vers la porte. Je ne l’avais pas supplié, pourtant. J’avais même attendu les trois jours réglementaires avant de le recontacter, plus longtemps même, car j’avais attendu le coup de fil qu’il avait assuré me passer.
Je n’ai jamais compris cette indifférence envers les partenaires d’une nuit. Encore, quand la rencontre ne s’est pas bien passée, quand il n’y a aucune alchimie, quand on a couché avec le mec seulement pour le faire taire… mais quand on a passé un bon moment, personnellement j’ai envie de remettre ça. Je ne parle pas d’engagement. Mais combien de fois j’ai entendu « à très vite », « je t’appelle à la fin de la semaine », « moi, je ne suis pas du genre à abandonner les gens après avoir eu ce que je voulais ». Bon, je dis ça, je passe sûrement pour un indécrottable romantique, le genre à tomber dans les bras d’un beau-parleur et à m’accrocher à leurs mots qui s’émiettent au soleil… mais ce n’est pas ça. Ces mots, ils ont été prononcé au petit matin, alors que chacun retournait vaquer à ses occupations, que tout était fini. Et je vous jure que dans leurs yeux avait brillé cet éclat de sincérité un peu béate, qu’on porte à une personne qui nous a plu. Quand tout le corps de l’autre résiste à tourner les talons alors qu’elle doit partir, quand il vous assène « j’espère que ce n’est pas la dernière fois qu’on se voit » en vous regardant dans les yeux, comme s’il avait cherché une confirmation de votre part, l’aveu d’une étincelle.
Peut-être que ça vient de moi. Peut-être que je parviens à envouter mes conquêtes, je les séduis l’espace d’une nuit et le charme se délite dès qu’elles s’éloignent. Hypothèse plus optimiste quant à mon attractivité, peut-être qu’en ne relançant pas l’autre assez tôt, nous entrons l’un et l’autre dans une surenchère de protestations d’indifférence, celui qui résiste le plus longtemps a gagné. Peut-être que j’ai l’air d’un mec trop bien, que je décourage mes prétendants. Ou peut-être que je suis un mec qui s’oublie vite.
C’est comme si mes rencards me punissaient. Parce que moi, je n’aurais pas eu autant envie de le revoir, je n’aurais pas tant langui de sa peau sous mes doigts s’il n’y avait pas eu tous ces demi-engagements concernant des retrouvailles prochaines qui ont effleuré l’oreiller. A présent, il ne disait plus rien, il ne faisait même pas mine de se donner une contenance en sirotant son verre. Ce n’était même pas un ersatz de conversation pré-coïtale, quelques mots impatients ponctuant mon monologue en attendant l’heureuse conclusion.
L’heureuse conclusion. C’était peut-être ça, le malaise. Une fois les endorphines retombées et la fatigue chassée par une bonne nuit de sommeil, il s’était sans doute rendu compte que je n’étais pas un coup en or. Par flashs, les instants où je m’étais senti médiocre ce soir-là me sont revenus en mémoire. Comme ce truc que j’avais fait avec ma bouche, à un moment… il avait sûrement remarqué mes bourrelets en plus. C’est sûr, d’un point de vue purement esthétique, ce garçon pouvait prétendre à mieux. D’ailleurs, rétrospectivement je n’étais pas particulièrement à mon avantage quand je l’avais rencontré. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à le ramener chez moi. En fait, c’était peut-être notre premier rencard qui était un malentendu. Ce soir-là, il avait peut-être eu envie d’essayer un genre différent et avait été déçu. Il avait voulu rendre quelqu’un jaloux. Il n’avait pas trouvé mieux. Plus j’y pense, et plus je me dis que si ça se trouve, je l’avais mis mal à l’aise lorsque je l’avais relancé. Je ne suis pas un romantique, mais je donne trop d’importance aux mots.
Ma conversation était de plus en plus décousue, ma voix me semblait stridente, et les verres que j’avais bus trop vite pour m’occuper les mains et les lèvres, pour ne pas affronter le silence bruyant du bar où je lui avais donné rendez-vous, n’arrangeaient rien. Si ça se trouve, il n’avait accepté ce rendez-vous que par loyauté envers ses fausses promesses, par obligation envers notre nuit, ou même par charité. Il a dû se dire que si je m’accrochais, c’est parce que je n’avais pas trouvé mieux.
J’ai fini mon verre d’un trait et je me suis tus quelques instants, le temps d’établir un plan de bataille. Il m’a lancé un regard interrogatif, sans doute surpris que ma parole se soit soudain tarie. J’ai paniqué. J’ai dit « désolé, je ne peux pas faire ça, je suis enceinte » et j’ai fuit. Il a dû se dire « tiens, c’est la première fois qu’on me fait le coup ».

Lundi 23 septembre 2013 à 11:29

Personne ne devrait aller à un second rencard à contre-cœur. Personne ne devrait aller à un second rencard sans savoir si c’était vraiment un rencard. C’est pourtant ce que je m’apprêtais à faire. Peut-être que j’aurais dû annuler et remettre à plus tard, beaucoup plus tard, afin d’éloigner tout spectre de sexualité entre nous. C’est tout le drame des personnes intéressantes, avec lesquelles vous avez couché une fois, et qui se sont avérées inintéressantes dans l’intimité. Mais je détestais annuler à la dernière minute, pas sans raison valable. J’étais du genre à accepter les invitations étourdiment et à le regretter ensuite, comme si mettre ma disponibilité en libre accès aux personnes de ma connaissance était un impératif moral. En plus, je n’étais pas sûre que remettre ce rendez-vous à plus tard rendrait les choses plus claires entre nous. Au contraire, laisser quelqu’un sans nouvelle et lui proposer inopinément un rendez-vous, n’était-ce pas le signe que je voulais circonscrire notre relation à la rencontre des corps ? que sa conversation était sans valeur pour moi ? Dieu que tout cela était compliqué. En plus, j’avais perdu de vue assez de gens pour savoir qu’après une rencontre, une relation est rapidement enterrée si on n’y donne pas suite. J’avais envie d’être en relation avec ce garçon. Tout habillés et ses lèvres loin des miennes.
Aussi, je me résignais à aller à ce rencard potentiel, mettant de mon côté toutes les chances de rester chaste (en clair, je n’étais pas maquillée). Dans le métro, je passais en revue toutes les raisons possibles de couper court au bouquet final. J’arrêtais mon choix sur l’existence d’un petit ami imaginaire mais néanmoins jaloux, ce qui présentait l’avantage d’éviter toute discussion et incrimination potentielle (« c’est pas moi c’est toi, je me suis ennuyée à compter les dalles du plafond la fois où nous avons dormi ensemble ») et d’éviter d’en inviter une nouvelle aux prochains rendez-vous éventuels. Je me sentais un peu mieux à l’idée de cette échappatoire, mais je n’étais pas apaisée pour autant. Pas facile d’aborder subtilement l’irruption soudaine d’un petit ami cinq jours seulement après notre rencontre. Je décidais donc de ne m’en servir qu’en dernier ressort, si mon potentiel rencard faisait une tentative d’approche. Après tout, peut-être que lui aussi avait envie de faire connaissance, sans arrière-pensée (quoique l’empressement avec lequel il m’avait proposé ce second rendez-vous semblait démentir cette hypothèse).
En descendant du wagon, je soupirais intérieurement de la difficulté des relations éphémères et de leurs avantages comparés aux relations conventionnelles (avec amusement, je me suis dit qu’il s’agissait peut-être d’un nouveau terrain de luttes entre une philosophie de la supériorité de la liberté sur les conventions sociales, et l’inverse, appliquées aux relations hétéros et sexuelles), des mystères qui président à l’incompatibilité sexuelles de deux personnes pourtant enthousiastes et de mon incapacité à envoyer des signaux clairs. Je caressais un instant l’idée d’un contrat définissant les termes de mes relations avec ceux qui ont été mes amants, après une période d’essai d’une nuit. Réduire l’incertitude, n’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous ? N’importe quel économiste vous le dira. J’eus un sourire amer en me faisant la remarque que soumettre un tel contrat à mes conquêtes leur ferait probablement prendre la fuite et mettre un terme définitif à toute relation future. Je gardais néanmoins l’idée dans un coin de ma tête. Le principe pourrait fonctionner pour un site de rencontres. Mais qu’importe.
Le voilà. Il n’est pas comme dans mon souvenir, je crois qu’il s’est coupé les cheveux. D’ailleurs, je n’ai que peu de souvenirs de notre rencontre, à part « il est pas mal », « j’aime bien sa conversation » et « il a bientôt fini ? ». En tous cas, maintenant que je l’ai sous les yeux, j’ai moins que jamais envie de le ramener chez moi. Je lui tends la joue, il me tend les lèvres, nous échangeons un baiser superficiel et maladroit. C’est mal parti. J’ai une théorie. Quand un rencard commence par un échange de bises conventionnelles, le terrain de l’intime doit être conquis, renégocié à chaque fois entre les deux parties. A l’inverse, quand le rencard commence par un baiser, il a toutes les chances de se finir sur un matelas (dans le meilleur des cas, sur un siège de voiture ou de cinéma pour les plus aventureux). Dans le cas présent, je n’étais pas sûre qu’il ait perçu mon esquive, et je n’avais pas le cran de déclarer d’emblé « au fait, je ne coucherai pas avec toi », cela me semblait une insulte à toutes les conventions factices censées constituer la moitié d’un rencard : le resto, la conversation et le cas échéant la complicité entre les protagonistes. Mais sauf cas de force majeure (votre partenaire a été remplacé par son double maléfique, rien ne va pendant les préliminaires –ici le diner–, il n’embrasse plus il mord), un second rendez-vous qui se passe bien (surtout amorcé par le sceau des deux bouches) est censé aboutir naturellement à une conclusion des plus heureuses. J’avais le sentiment qu’à l’instant où ses lèvres avaient effleuré les miennes, le destin de cette soirée était arrêté.
C’était bien un second rencard. Il était moins beau, moins drôle, moins intéressant que dans mon souvenir. Peut-être parce que j’avais moins bu, peut-être parce que le frisson de la conquête était dissipé. Le repas était bon, sans être exceptionnel. D’ailleurs je n’avais pas vraiment faim. Je n’étais pas vraiment déçue, c’est le propre des seconds rencards d’être moins étincelants que les premiers. Mais j’étais vaguement agacée à l’idée de proférer un mensonge pour rentrer seule.
Je me ravisais alors que le dîner fini, nous nous dirigions vers la bouche de métro et il passa un bras autour de ma taille, un geste hésitant, comme pour me demander « et maintenant ? ». je me dis que j’allais peut-être lui laisser une seconde chance, puisque d’après mon expérience, la première étreinte est toujours ratée et qu’à bien y regarder, son visage me plaisait, même si ses cheveux étaient trop courts. Je me demandais s’il ne m’avait pas forcée la main, en m’imposant une intimité physique (d’abord le baiser, et maintenant ce bras contre mes reins), peut-être sans même s’en rendre compte, me rendant spectatrice, consentante malgré moi, des mécanismes de l’engrenage. En plus, il avait payé l’addition. Je me demandais si la plupart des garçons qui auraient été dans ma situation n’aurait pas proposé un rendez-vous de groupe plutôt, si possible en charmante compagnie. Je me demandais si c’était pour lui ou pour moi que j’envisageais de lui proposer de venir chez moi, finalement. J’ai décidé que c’était pour moi en somme, parce que je crois aux secondes chances. Et dans ce cas précis, j’ai eu raison.

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