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Vendredi 20 septembre 2013 à 20:05

Ce n’était pas une histoire d’amour. Je ne sais pas si j’ai le droit de vous dire ça, comme ça, de vous prévenir, de décevoir vos attentes, peut-être. Mais j’ai l’impression de ne faire que ça. Décevoir des attentes. Alors je préfère le dire tout de suite, avant qu’il ne soit trop tard. A vous, je peux le dire tout de suite, c’est plus simple. Plus simple que dans la vie, je veux dire. Mais je suis fatiguée des histoires d’amour. Les histoires d’amour, ça ne laisse que des cadavres. Mais croyez-moi, ce n’est pas si facile. De ne pas vivre une histoire d’amour, je veux dire. Vous commencez à sortir avec quelqu’un, bien sûr ce n’est pas le partenaire idéal, mais de toute façon ça fait longtemps que vous ne comptez plus dessus, et d’ailleurs c’est un candidat très correct. Mais vous n’en pouvez plus, des histoires d’amour. Alors, vous luttez contre vous-même, pour ne pas attendre ses messages, pour ne pas guetter des mots doux et des engagements voilés, pour ne pas vous attacher, pour commencer l’histoire par le milieu, une routine qui s’étend jusqu’à ce que les circonstances ou l’ennui vous séparent. Enfin, vous voyez ce que je veux dire.
Mais les habitudes ont la vie dure. Vous rencontrez quelqu’un de gentil, qui s’attend à une histoire d’amour. Le genre où on finit par s’installer ensemble, monogame et vaguement passionnée. Qu’est-ce qu’il y aurait donc à attendre d'autre, tout le monde rêve d’être terrassé par les feux d’artifices. Et comment expliquer que malgré tout les signes contradictoires que vous émettez, vous n’êtes pas du genre à vous poser. Que vous avez peur de le briser.
C’est exactement le genre de choses qui me torturaient ce soir-là. J’attendais qu’il arrive, au bar du restaurant, on refusait de m’installer tant que je serai seule, que nous ne serions pas « au complet ». Comme s’il me complétait, voyez l’ironie. Je ne sais plus si j’étais très en avance ou s’il était très en retard, l’angoisse du moment à venir m’avait sans doute poussée à partir trop tôt. En tous cas, j’étais sur mon 31, le séduire avec mon corps pour qu’il pardonne, pour qu’il oublie mes mots. Un instant, je caressais l’idée d’appeler un autre de mes amants, pour que ce travail de parure ne soit pas perdu et pour mettre les choses au clair, pour faire payer son retard et mon impatience à l’absent. C’était le troisième rencard avec lui : j’en savais assez pour être sûre d’avoir envie de le revoir, il était temps de mettre au clair notre « relation ». Je déteste ce moment. Je déteste briser l’illusion que les choses progressent petit à petit, qu’un premier rencard qui s’est bien passé découle naturellement sur d’autres rencards tout aussi plaisants, jusqu’à ce que l’on se rende compte que ça y est, on est engagés, et c’est une histoire d’amour. Mais je ne m’engage pas. Alors il faut mettre au clair la « relation ». Parler. Mettre au jour le demi-mensonge sur lequel est bâtie la relation, celle d’une exclusivité affective et sexuelle. Le premier rencard ne compte pas, puisqu’on y passe plus de temps à prétendre qu’on n’a aucune attente vis-à-vis de l’autre qu’à discuter des formalités. Le deuxième, on profite du fait que l’intérêt réciproque ait été établi pour rentabiliser le temps perdu au premier rencard. Le troisième rencard, c’est le moment d’aborder les choses sérieuses, afin d’éviter les mauvaises surprises. Depuis que j’ai découvert que j’étais en couple avec un type que je prenais pour un simple amant, je me méfie. Les mecs gentils prennent souvent des vessies pour des lanternes.
Je n’avais aucune raison de ne pas me mettre en couple avec le rencard qui me faisait patienter au bar du restaurant, et de commencer une nouvelle histoire d’amour. J’étais célibataire, dans les grandes lignes, il était charmant et l’air prêt à se jeter à corps perdu dans une histoire, la nôtre ou une autre. Le genre de mecs cabossés par la vie, comme tout le monde, qui sort tout juste d’une histoire difficile (elles le sont toutes), il était du genre à dire « j’ai envie de te faire l’amour » au premier rencard. Ou plutôt, j’avais une bonne raison de ne pas me mettre en couple avec lui. La meilleure de toutes. Je n’en avais pas envie. Parce que c’était une histoire cousue de fil blanc. Je n’ai rien contre les histoires prévisibles, comme dans les blockbusters américains, sauf quand c'est la mienne. Le film de mes histoires d’amour, je ne le connaissais que trop bien. Et ça finissait mal. Pour les autres. Bien sûr, j’aurais pu lui expliquer, lui décrire les étapes de notre histoire d’amour, du premier baiser jusqu’au moment où je lui briserais le coeur, retour à la case prison, ne passez pas par la case départ, ne touchez pas votre salaire. Mais il me dirait que lui, nous, moi, c’était différent. Que ça finirait bien, et pourquoi pas dans une maison en banlieue avec un chat, une voiture, voire des enfants. Mais moi, je savais. Je n’étais pas différente. Il fallait vraiment qu’on ait cette conversation.
C’est moins facile que ça en a l’air. Il fallait que je mette au jour mes blessures et mes erreurs, les passées, les futures, à nues, afin de ne laisser aucune place au doute ou à la discussion. Je suis à prendre à moitié ou à laisser. Mieux valait le faire maintenant, pendant que notre histoire n’était âgée que de deux rencards et demi, avant qu’il ne se rende compte qu’une personne dont il n’était pas le genre lui avait pris un an ou deux de sa vie sentimentale. Qu’elle lui avait volé une histoire d’amour. Il avait du potentiel en tant que petit copain, mais pas le mien. Bon, il y avait quand même ce problème de ponctualité.
Plus j’y pensais, et plus j’avais la certitude qu’il ne comprendrait pas. On dit souvent que les femmes cherchent la stabilité affective, et les hommes la conquête. Une histoire de stratégie reproductive, ou autre imbécilité psychologisante. Je devrais donc être la femme parfaite, libertine par principe éthique. Je me sentais flouée. J’avais toujours à m’expliquer. Avec mes amants, avec ceux dont je voulais faire mes amants, avec ceux qui ne seraient jamais mes amants. Par commodité, je fais souvent comme si j’étais célibataire. Mais j’ai toujours l’impression de mentir un peu.
En jouant ave mon verre à moitié vide, j’ai soudain réalisé ce que cela faisait de moi. Une imposture. Je faisais croire que j’étais disponible, mais il n’y avait pas de place dans ma vie pour une histoire d’amour. J’attirais des hommes dans mon lit, et je leur donnais mon numéro, et j’avais même l’intention de les revoir, comme au début d’une histoire d’amour. Mais ce n’était jamais une histoire d’amour.
Alors j’ai laissé mon verre sur le comptoir et j’ai envoyé un message (à mon rencard ou à un autre amant, je ne sais plus) lui disant de me retrouver directement chez moi. Je n’avais plus envie de parler, ce soir-là.

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