cigarette-and-coffee-milk

Mardi 24 septembre 2013 à 16:09

Dès le premier regard, il m’avait plu. Très vite, ça avait été l’amour à 100 à l’heure, le grand, un brasier, les feux d’artifices, le big bang. Lui et moi, on s’était vraiment aimé, à graver son nom sur ma peau, à lui passer la bague au doigt. Et puis les cendres, mon cœur s’était arrêté de battre pour lui. La plante qu’il m’avait offerte, clairvoyante, est morte quelques jours plus tard. J’avais cessé de l’aimer aussi rapidement que j’étais tombée sous son charme, comme un coup de foudre. Forcée de mettre fin à cette parodie qu’était devenue notre histoire, j’étais effondrée. Six mois plus tard, c’était toujours comme si on m’avait amputée d’une partie de moi-même. J’avais beau ne plus l’aimer, j’avais perdu du jour au lendemain le miroir dans lequel je reflétais mon quotidien, mon complice, la personne qui me disait que mon existence avait de la valeur, mon grand frisson. Six mois sans nouvelle, pour ne pas remuer le couteau dans la plaie. Mais parfois, je me disais qu’on aurait dû continuer à jouer la comédie, moi faire comme si je l’aimais comme avant, lui faire comme s’il ne remarquait rien. Parfois, tout me semblait préférable à cette perte.
Et il est là, devant moi. Il fallait bien que nous nous retrouvions un jour. Lui et moi, au même endroit, quoi de plus naturel. Moi, le prenant dans mes bras, lui tendant mes lèvres, quoi de plus naturel. Son corps était imprimé en moi et toutes mes cellules aspiraient à rejouer le ballet de notre histoire, les pas familiers qu’on danse avec la personne qui partage notre vie. Mais je ne pouvais pas, je n’en avais pas le droit. Je me suis figée en plein milieu de l’entrée, obstacle imprévu du flux et du reflux des invités qui m’évitaient avec grâce, comme si je n’étais rien de plus qu’une statue soudainement dressée entre le porte-manteau et le meuble à chaussures. Je voulais l’embrasser, je voulais garder mes distances, je voulais lui parler, je voulais sortir. J’étais pétrifiée. Je voulais qu’il me voie, que ses yeux me disent ce que je devais faire, je ne pouvais pas faire le premier pas, je ne pouvais pas lui imposer la marche à suivre. Mais il regardait ailleurs et je ne pouvais pas lui faire signe, pas sans que nos douloureuses retrouvailles deviennent le point de mire de la soirée. Faute de meilleure idée, je me suis mise à pleurer, aussi discrètement que possible. Bien sûr, je ne voulais pas qu’il me voie pleurer, c’était déjà arrivé trop souvent par le passé et il pourrait se méprendre. D’ailleurs je déteste pleurer en public. J’ai l’impression de me donner en spectacle, exposant ma faiblesse à la ronde. C’est un coup à se faire harceler de questions auxquelles je n’avais pas envie de répondre, parce que c’est compliqué, c’est personnel et parce qu’on a la voix entrecoupée de sanglots. Mais répondre aux questions, c’est la seule façon d’avoir la paix, pour que les autres aient l’impression d’avoir aidé. Mais pleurer, ça n’arrive que lorsqu’il n’y a rien d’autre à faire.
En tous cas, si je réussissais à réprimer les sanglots les plus bruyants, toutes les personnes qui me frôlaient ne pouvaient pas ne pas se rendre compte de rien, d’autant que je mettais arrêtée brusquement. Déjà je voyais dans les yeux d’un invité l’éclair de panique qui s’allume lorsque quelqu’un pleure sans qu’on sache pourquoi. Cette personne, je la connaissais vaguement, mais comment aurait-elle pu comprendre ce qui se passait ? Pour elle, Simon c’était du passé, et d’ailleurs je n’étais pas sûre qu’elle l’ait rencontré, elle ne risquait pas de le reconnaitre. Je cherchais des yeux un refuge, une alcôve pour reprendre mes esprits. Quelqu’un allait donner l’alerte.
Soudain, il s’est tourné vers moi. Peut-être que quelqu’un l’avait prévenu, peut-être qu’il avait senti ma présence. Il s’avançait vers moi à grandes enjambées, j’en fis de même pour me fondre dans la foule. Je ne sais si c’était parce qu’il était trop familier de mes yeux gonflés et de mon nez bouché, mais c’était comme s’il avait tout de suite compris la situation. Il a passé un bras autour de mes épaules, attirant mon visage contre son torse, un gentleman. Il m’a conduite à la salle de bain, qui était vide, les invités n’avaient pas encore assez bu.
Je suis entrée dans la salle de bain, il est entré à ma suite et a fermé la porte sur nous. Dans un premier temps, je détournais la tête, refusant de lui imposer le spectacle de mon visage en train de fondre. Je regrettais que le premier aperçu qu’il ait de moi après tout ce temps soit aussi pitoyable. Puis je me rappelais qu’il m’avait déjà vue ainsi plus souvent que je ne l’aurais voulu, et qu’il était donc inutile que je lui offre mon dos. Je lui fis donc face. Il aurait pu sourire de ma pudeur si ses yeux n’étaient pas si plein de compassion. Il respectait mon silence, il savait que je n’aimais pas parler et sangloter en même temps, mais il savait aussi que je ne me calmerais que lorsqu’on aurait crevé l’abcès. Il me demanda donc d’une vois douce ce qui se passait. Je secouais la tête, il n’était pas dupe, il me relançait. Je ne voulais pas lui dire, je ne voulais pas lui avouer qu’il me manquait, lui parler de l’affection que je lui portais. J’aurais eu l’impression de le prendre en otage, de lui proposer de reprendre notre relation de façon malhonnête, non pas pour notre bonheur mais uniquement pour le mien, j’avais peur de m’en lasser en quelques semaines. J’avais l’impression de jouer le rôle de la victime alors que j’étais le bourreau (déjà lors de notre rupture, c’est lui qui m’avait consolé), que je n’avais pas le droit de souffrir. Mais je lui devais la vérité, pour sa sollicitude et pour notre histoire, parce que je lui avais caché trop longtemps aussi. J’essayais donc de lui décrire aussi justement que je pouvais mes sentiments, sans complaisance pour mon égoïsme (il m’avait aimée avec tous mes défauts après tout, il me connaissait mieux que quiconque), et mes scrupules. J’espérais qu’à tout moment il m’interromprait, il me dirait « je ne t’aime plus », « je suis avec quelqu’un d’autre », « je t’ai oubliée », pour que je puisse tourner la page. Je me disais que si ces sentiments me restaient, c’était parce que personne ne l’avait remplacé dans ma vie, que sans nouvelle je l’avais imaginé virtuellement disponible et éperdument amoureux, un petit ami de rechange en cas de coups durs. Mais il n’en fit rien. Il m’a ouvert son cœur. Ce qu’il m’a dit n’a pas d’importance, qu’il m’aime encore ou pas, tout ce qui comptait c’était que nous pouvions enfin parler. Et il a fini par me dire que s’il ne se faisait pas d’illusion, il me proposait que nous recommencions à nous voir, à faire partie de la vie l’un de l’autre, en amis, et nous verrions bien. Nous verrions bien si nous étions faits l’un pour l’autre, finalement.
C’est comme ça que les choses se serraient passées dans un conte de fées. Mais dans ce monde-ci, il referma simplement la porte de la salle de bain derrière moi et partit rejoindre les invités, me laissant avec mes doutes, se félicitant sans doute de ne plus être en couple avec une femme aussi émotive.

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