cigarette-and-coffee-milk

Mercredi 4 décembre 2013 à 14:16

Il est apparu dans ma vie au moment où j’avais besoin de lui. Je ne sais pas si toutes les histoires commencent comme ça, ou si c’est juste la mienne. Je ne sais pas non plus si c’était juste un événement contingent, si un autre aurait pu prendre la même place ou si c’était un heureux accident entre deux personnes qui se cherchaient. Je ne crois pas que ce soit important.

Il n’était pas mon type, si tant est que j’ai un type. Je sais que je ne me serais pas retournée sur lui dans la rue. Mais il a suffit d’un échange de regards (ou plutôt de longs regards insistants) pour qu’il prenne le visage de nos fantasmes. Je ne sais pas comment c’est arrivé. Je pense que c’est juste parce qu’il était disponible et que j’étais disponible et que j’avais besoin que les yeux de quelqu’un me dise que j’étais belle. Alors je lui ai sauté dessus. Je l’ai laissé me sauter dessus.

Ça a commencé dans une librairie. J’aime bien raconter ça, je me suis toujours sentie chez moi parmi les livres et j’aime qu’ils m’aient rendu mon amour pour eux en mettant sur ma route quelqu’un que je pourrais toucher, qui me fasse perdre la tête. Parce que je ne l’ai pas dit, mais ce n’était pas le moment pour faire une rencontre – ça l’est rarement –, j’étais épuisée, submergée de travail, unilatéralement amoureuse de quelqu’un (c’est comme ça que je m’occupe entre deux ruptures), vulnérable. Nous étions tous les deux vulnérables, sinon il ne se serait rien passé. J’étais au rayon histoire, il était au rayon développement personnel, et j’avais honte pour lui. Je le regardais me regarder, et je me demandais si je pouvais vraiment laisser quelqu’un au rayon développement personnel m’adresser la parole, comme j’espérais qu’il en avait l’intention. Je sais, je suis une abominable snob prétentieuse. Dans le doute (et aussi parce qu’il ne semblait pas se décider à faire autre chose que me fixer), je me suis dirigée vers la caisse. Je ne l’avais pas senti m’emboiter le pas, mais il était juste derrière moi dans la file d’attente. Je lui ai adressé un sourire bref et je me suis détournée, décidée à ne pas lui faciliter la tâche au cas où il aurait précipité ses flâneries livresques pour me rattraper. Ça n’a pas dû marcher parce qu’il n’a pas fait mine de m’adresser la parole. Cependant, et je ne sais absolument pas comment il a fait, je me suis aperçue en arrivant chez moi qu’il avait réussi à glisser un mot entre les pages d’un des livres dont j’avais fait l’acquisition, un prénom masculin et un numéro de téléphone. J’envisageais brièvement que la personne au guichet ait pu être l’auteur de ce mot, mais pour autant que je me souvienne c’était une femme. Il devait donc s’agir de Mr Développement personnel. J’ai trouvé ça mignon, et un peu lâche, parce qu’il m’obligeait à engager la conversation, sans me donner de piste d’approche. Je l’ai quand même contacté, parce que j’avais envie de me sentir flattée et je lui ai envoyé un message lui demandant s’il était coutumier de la fréquentation du rayon psy de comptoir, signé la femme du rayon histoire. Après l’avoir envoyé, je me suis dit que j’aurais l’air vraiment stupide s’il y avait erreur sur la personne. Mais c’était bien lui. Il a fait quelques remarques amusantes, il mimait l’obséquiosité, et on a échangé quelques paroles sur tout et rien. Je lui ai proposé un rendez-vous, parce que j’avais l’impression qu’il ne se déciderait jamais et que j’avais des soirées de libre.

On a diné ensemble quelques jours plus tard, la conversation allait bon train mais ne décollait pas, intérieurement je le jaugeais, en me demandant s’il me plaisait suffisamment pour l’inviter chez moi. Je n’étais toujours pas décidée quand nous sommes montés dans le métro pour regagner nos foyers respectifs. Je ne parvenais pas à me décider alors je me suis dit que j’allais le laisser faire, de lui laisser prendre l’initiative, en me disant que c’était sûrement ce que ses ouvrages de réalisation de soi lui aurait conseillé. Il a commencé à me toucher, posant une main sur mon bras, chassant un fil imaginaire sur mon épaule, comme on ne peut pas s’empêcher de le faire lorsque quelqu’un nous plait. Jusqu’au moment où il a laissé sa main s’attarder sur la mienne et je savais que c’était le moment, le tournant, soit je retirais ma main et les choses s’arrêtaient là, peut-être pour ce soir, peut-être définitivement, soit je la laissais et nous allions nous embrasser. Le temps que je considère la question, sa bouche était sur la mienne. Il m’a embrassé passionnément, comme un adolescent et c’est exactement ce dont j’avais besoin à ce moment-là, j’avais regardé quelques jours plus tôt une série mettant en scène des adolescents en fleurs, s’embrassant à perdre haleine, et je me suis dit que cela faisait longtemps que je n’avais pas embrassé comme ça. C’était charmant, et ça a duré longtemps, sans interruption, et j’avais à nouveau 17 ans l’espace d’un instant, je crois bien que nous avons essuyé quelques regards noirs. Ça a duré jusqu’à ce que je doive descendre, il ne pouvait pas venir chez moi, je ne voulais pas aller chez lui, il m’a laissé sur le quai en feu et avec la promesse qu’on se revoit très vite. J’ai impatiemment attendu de le revoir, et je crois bien que lui aussi.

Pour le second rendez-vous, nous ne nous sommes pas embarrassés de préliminaires, il m’a retrouvée chez moi et s’est plaqué contre moi juste après que j’aie ouvert la porte, je me suis rendue compte plus tard que j’avais même oublié de la refermer. Nous avons passé une semaine entière dans cet appartement, sans sortir, nous avons envoyé valser toutes nos obligations pour nous rassasier l’un de l’autre, nous avons même coupé nos téléphones. Il a suffit de quelques heures en sa compagnie pour que je n’ai plus envie de le laisser partir et visiblement il partageait mon intérêt parce que je n’ai eu aucun mal à le retenir.

 

Je ne pensais pas que c’était possible, une parenthèse dorée comme ça, avec un presque inconnu, devenir profondément intime avec quelqu’un en vitesse accélérée, plus je passais de temps avec lui plus il me plaisait, je sentais mon regard se métamorphoser, plus je le regardais plus il était mon type et lui me couvrait de compliments et de marques d’intérêt à la fin j’ai même cru qu’il allait me parler de mariage. Nous étions sur la même longueur d’ondes, nous nous sentions tomber l’un dans l’autre. Nous dormions peu, mangions sur le pouce, parlions beaucoup quand nous ne nous embrassions pas. Son corps m’est devenu si familier que j’aurais pu en tracer la carte. Il était généreux, attentionné et amusant, il me regardait comme un trésor, et je me demandais bien ce qu’il me trouvait. Nous avons partagé des confidences dans l’aube naissante, des étreintes ininterrompues et ma dernière cigarette. C’était parfait.

Ensuite, le monde a repris ses droits. Ça aurait pu s’arrêter là. Mais nous avons continué à nous voir, jamais assez souvent à notre goût, jusqu’à que nous nous voyions plus du tout. Cette histoire a vécu et s’est éteinte comme les autres, mais cette semaine gardera toujours une saveur particulière, celle de la félicité.

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/trackback/3256651

 

<< Reine blanche | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Reine rouge >>

Créer un podcast