cigarette-and-coffee-milk

Lundi 23 septembre 2013 à 11:29

Personne ne devrait aller à un second rencard à contre-cœur. Personne ne devrait aller à un second rencard sans savoir si c’était vraiment un rencard. C’est pourtant ce que je m’apprêtais à faire. Peut-être que j’aurais dû annuler et remettre à plus tard, beaucoup plus tard, afin d’éloigner tout spectre de sexualité entre nous. C’est tout le drame des personnes intéressantes, avec lesquelles vous avez couché une fois, et qui se sont avérées inintéressantes dans l’intimité. Mais je détestais annuler à la dernière minute, pas sans raison valable. J’étais du genre à accepter les invitations étourdiment et à le regretter ensuite, comme si mettre ma disponibilité en libre accès aux personnes de ma connaissance était un impératif moral. En plus, je n’étais pas sûre que remettre ce rendez-vous à plus tard rendrait les choses plus claires entre nous. Au contraire, laisser quelqu’un sans nouvelle et lui proposer inopinément un rendez-vous, n’était-ce pas le signe que je voulais circonscrire notre relation à la rencontre des corps ? que sa conversation était sans valeur pour moi ? Dieu que tout cela était compliqué. En plus, j’avais perdu de vue assez de gens pour savoir qu’après une rencontre, une relation est rapidement enterrée si on n’y donne pas suite. J’avais envie d’être en relation avec ce garçon. Tout habillés et ses lèvres loin des miennes.
Aussi, je me résignais à aller à ce rencard potentiel, mettant de mon côté toutes les chances de rester chaste (en clair, je n’étais pas maquillée). Dans le métro, je passais en revue toutes les raisons possibles de couper court au bouquet final. J’arrêtais mon choix sur l’existence d’un petit ami imaginaire mais néanmoins jaloux, ce qui présentait l’avantage d’éviter toute discussion et incrimination potentielle (« c’est pas moi c’est toi, je me suis ennuyée à compter les dalles du plafond la fois où nous avons dormi ensemble ») et d’éviter d’en inviter une nouvelle aux prochains rendez-vous éventuels. Je me sentais un peu mieux à l’idée de cette échappatoire, mais je n’étais pas apaisée pour autant. Pas facile d’aborder subtilement l’irruption soudaine d’un petit ami cinq jours seulement après notre rencontre. Je décidais donc de ne m’en servir qu’en dernier ressort, si mon potentiel rencard faisait une tentative d’approche. Après tout, peut-être que lui aussi avait envie de faire connaissance, sans arrière-pensée (quoique l’empressement avec lequel il m’avait proposé ce second rendez-vous semblait démentir cette hypothèse).
En descendant du wagon, je soupirais intérieurement de la difficulté des relations éphémères et de leurs avantages comparés aux relations conventionnelles (avec amusement, je me suis dit qu’il s’agissait peut-être d’un nouveau terrain de luttes entre une philosophie de la supériorité de la liberté sur les conventions sociales, et l’inverse, appliquées aux relations hétéros et sexuelles), des mystères qui président à l’incompatibilité sexuelles de deux personnes pourtant enthousiastes et de mon incapacité à envoyer des signaux clairs. Je caressais un instant l’idée d’un contrat définissant les termes de mes relations avec ceux qui ont été mes amants, après une période d’essai d’une nuit. Réduire l’incertitude, n’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous ? N’importe quel économiste vous le dira. J’eus un sourire amer en me faisant la remarque que soumettre un tel contrat à mes conquêtes leur ferait probablement prendre la fuite et mettre un terme définitif à toute relation future. Je gardais néanmoins l’idée dans un coin de ma tête. Le principe pourrait fonctionner pour un site de rencontres. Mais qu’importe.
Le voilà. Il n’est pas comme dans mon souvenir, je crois qu’il s’est coupé les cheveux. D’ailleurs, je n’ai que peu de souvenirs de notre rencontre, à part « il est pas mal », « j’aime bien sa conversation » et « il a bientôt fini ? ». En tous cas, maintenant que je l’ai sous les yeux, j’ai moins que jamais envie de le ramener chez moi. Je lui tends la joue, il me tend les lèvres, nous échangeons un baiser superficiel et maladroit. C’est mal parti. J’ai une théorie. Quand un rencard commence par un échange de bises conventionnelles, le terrain de l’intime doit être conquis, renégocié à chaque fois entre les deux parties. A l’inverse, quand le rencard commence par un baiser, il a toutes les chances de se finir sur un matelas (dans le meilleur des cas, sur un siège de voiture ou de cinéma pour les plus aventureux). Dans le cas présent, je n’étais pas sûre qu’il ait perçu mon esquive, et je n’avais pas le cran de déclarer d’emblé « au fait, je ne coucherai pas avec toi », cela me semblait une insulte à toutes les conventions factices censées constituer la moitié d’un rencard : le resto, la conversation et le cas échéant la complicité entre les protagonistes. Mais sauf cas de force majeure (votre partenaire a été remplacé par son double maléfique, rien ne va pendant les préliminaires –ici le diner–, il n’embrasse plus il mord), un second rendez-vous qui se passe bien (surtout amorcé par le sceau des deux bouches) est censé aboutir naturellement à une conclusion des plus heureuses. J’avais le sentiment qu’à l’instant où ses lèvres avaient effleuré les miennes, le destin de cette soirée était arrêté.
C’était bien un second rencard. Il était moins beau, moins drôle, moins intéressant que dans mon souvenir. Peut-être parce que j’avais moins bu, peut-être parce que le frisson de la conquête était dissipé. Le repas était bon, sans être exceptionnel. D’ailleurs je n’avais pas vraiment faim. Je n’étais pas vraiment déçue, c’est le propre des seconds rencards d’être moins étincelants que les premiers. Mais j’étais vaguement agacée à l’idée de proférer un mensonge pour rentrer seule.
Je me ravisais alors que le dîner fini, nous nous dirigions vers la bouche de métro et il passa un bras autour de ma taille, un geste hésitant, comme pour me demander « et maintenant ? ». je me dis que j’allais peut-être lui laisser une seconde chance, puisque d’après mon expérience, la première étreinte est toujours ratée et qu’à bien y regarder, son visage me plaisait, même si ses cheveux étaient trop courts. Je me demandais s’il ne m’avait pas forcée la main, en m’imposant une intimité physique (d’abord le baiser, et maintenant ce bras contre mes reins), peut-être sans même s’en rendre compte, me rendant spectatrice, consentante malgré moi, des mécanismes de l’engrenage. En plus, il avait payé l’addition. Je me demandais si la plupart des garçons qui auraient été dans ma situation n’aurait pas proposé un rendez-vous de groupe plutôt, si possible en charmante compagnie. Je me demandais si c’était pour lui ou pour moi que j’envisageais de lui proposer de venir chez moi, finalement. J’ai décidé que c’était pour moi en somme, parce que je crois aux secondes chances. Et dans ce cas précis, j’ai eu raison.

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