cigarette-and-coffee-milk

Vendredi 9 septembre 2011 à 23:40

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Je ne sais pas comment ça a pu arriver. Je m’étais pourtant jurée que plus jamais je ne prendrai part à une intégration, ni en tant que victime ni en tant que bourreau. Non pas que mon expérience d’intégration en tant que « bizuth » ait été si terrible (dans le sens où ce n’est pas un souvenir qui me hantera jusqu’à la fin de mes jours), mais c’est indéniablement un mauvais souvenir. Je ne dois pas être faite pour les expériences de groupe.
Pourtant, j’ai été entraînée contre mon gré, en tant que bourreau à une de ces sauteries de bizuthages. Dès le début, je faisais tâche : je n’avais pas l’uniforme de kapot. Je n’avais ni le béret ridicule dont on nous affuble à la fin de l’intégration pour marquer au fer rouge notre entrée dans le monde merveilleux des intégrés, ni la blouse où ceux qui ont réussi leurs concours (ou leur inscription à la fac) inscrivent avec modestie « très vénérable intégré dans telle prestigieuse école ». Qu’est-ce que j’aurai pu écrire, de toute façon ? « Très vénérable intégrée nulle part » ? « Fort valeureuse désintégrée » ? quant au béret, je l’ai perdu il y a deux ans.
Et donc j’étais là, au milieu des blouses blanches et bleues et des couvre-chefs risibles, habillée comme une bizuth et donc à la merci de la première humiliation venue, autour de moi les blouses brandissaient du sirop, des flamby, des œufs et de la farine prêts à s’écraser sur les bizuths, elles étaient survoltées à l’idée de la grande bataille du self à venir et moi, je me demandais ce que je faisais là.
Deuxième épisode, deuxième incursion au pays des intégrés. Droit à un aperçu d’une centaine de bizuths exécutant en chœur la même chorégraphie débile sur une chanson débile, un des nombreux rituels de l’intégration, et il y avait tellement d’énergie qui parcourait cette masse, une ardeur, une hystérie, une joie d’être là, de s’amuser (car le ridicule ne tue pas quand on est plusieurs, il peut devenir drôle). Les bizuths brûlaient d’enthousiasme, chantant de concert leur soumission au président du bureau des élèves à pleins poumons, les yeux plein d’étoiles, parce qu’ils faisaient partie d’un groupe.
Tout cela me rendait malade et mes amies me demandaient « pourquoi tu n’aimes pas ça ? tu ne trouves pas ça drôle ? Rabat-joie. ». Je ne sais pas, peut-être que j’ai une personnalité et que je n’ai pas envie qu’on en brise un morceau sous prétexte que je dois me mêler à une communauté éphémère, peut-être que je n’ai pas besoin de libérer mes pulsions sadiques sur un type qui a le malheur de passer par là juste parce qu’on m’en donne le droit, parce qu’il m’en donne le droit, et j’avais envie de crier « vous n’avez donc pas de dignité ? vous ne voyez pas que quelque chose cloche ? ». Apparemment je suis la seule à trouver cette atmosphère malsaine. Par contre, tout le monde avait l’air de trouver normal de taper des gens avec des polochons sans qu’ils se défendent. Parce que c’est vrai, c’est bon enfant, ça ne fait pas vraiment mal les polochons, et regardez comme ils ont l’air heureux de se faire humilier, comment ils acceptent leur soumission à des égaux.
Ce qui m’a le plus énervée, c’est cette petite blouse bleue qui est venue nous interrompre mes amies et moi pour nous demander de rejoindre les bizuths afin de se faire arroser d’eau et sûrement d’autres machins. Elle était là, sur sa trottinette, à insister pour que nous rejoignons les victimes, parce que deux d’entre nous n’avaient ni blouse ni béret, comme si le fait d’avoir un surnom stupide dans le dos lui donnait une autorité, un pouvoir indéfectible. Elle n’a qu’un an de plus de ceux qu’elle veut soumettre, mais sa blouse lui donnait l’illusion d’être supérieure, d’être entrée dans la cours des grands. Dieu merci, elle a fini par rebrousser chemin, sinon j’aurai probablement planté mes canines dans sa gorge, pour revenir au pouvoir le plus primaire, pour pousser la mascarade jusqu’au bout en introduisant la violence. On a bien voulu me faire oublier que j’étais quelqu’un, j’aurai bien pu oublier que j’étais un humain, l’espace d’une soirée, puisqu’apparemment tout était permis. Et en trophée, j’aurai enfilé sa blouse, pour marquer mon entrée dans le camp des forts.
Mais l’horreur n’était pas encore à son comble. J’ai appris qu’ils avaient acheté des poules, comme des espèces de mascottes à plumes des classes. Et qu’ils les ont fait participer à un de leurs jeux, à savoir le béret (avec la poule dans le rôle du béret), assaisonné d’une bâche savonneuse secouée au quatre coins par de valeureux volontaires en blouse. A la fin, il parait que les pauvres volatiles étaient passablement mal en point, mais elles ont survécu, puisqu’elles sont parvenues à empester les salles de classe le lendemain. Des poules. En plein Paris. Dans un lycée. Quelque chose me chiffonne, mais quoi ?
C’est officiel, jamais plus je ne ferai la reine de sabbat, et surtout pas malgré moi.

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