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Mercredi 1er août 2012 à 21:32

Ce que j’aime dans le job d’été, c’est que c’est bien plus folklorique que se dorer la pilule au bord de l’eau. On devrait pouvoir faire les « perles des dossiers d’inscription », comme il y a les perles du bac.
Déjà, il y a les noms. Les noms étrangers sont une forme de distraction en soi, comme cette suite de 17 lettres apparemment aléatoires, notre record. On peut également constater l’essor de l’héroïc fantasy en France (avec la jeune Galadriel, dont le scandaleux deuxième prénom est Josée), des jeux vidéos (avec Zelda) ou des produits de divertissement américains (avc Beverly Fatima, Huntington à elle toute seule).
D’ailleurs il y a des inscriptions traitresses. Par exemple, deux sœurs aux noms et prénoms asiatiques qui s’inscrivent en même temps, sans prévenir. On commence à chercher le nom de famille sur la base de données, on finit par trouver un truc qui semble suffisamment imprononçable pour qu’elle n’ait pas d’homonyme, le montant du chèque colle, on finalise l’inscription avec le sentiment du devoir accompli. Quand plusieurs dossiers plus tard, surprise ! quasiment le même dossier, même nom exotique, photo ressemblante et chèque rédigé de la même main. On se dit que la jeune fille a déposé deux dossiers par erreur ou qu’elle l’a envoyé en deux fois… que nenni ! le prénom est différent, on a inscrit Yin au nom de Yang. Cela dit, elles l’ont bien cherché.
Les photos sont sympathiques, évidemment. Je vous épargne la description par le menu des traditionnelles têtes de tueur, les photos arty en noir et blanc, les zooms pixélisés sur des photos de vacances et les photos identiques en plusieurs format, des fois qu’on ait envie d’encadrer la plus grande et de la mettre sur son bureau. Je préfère vous parler de Josiane (pour préserver sa dignité, son prénom a été modifié), 60 ou 70 ans, qui joint à son inscription en guise de photo un tract en couleur de sa chorale, où on peut la voir sous différents angles avantageux, ma préférée restant sans doute celle où on la voit avec une guitare électrique et un chapeau rouge pailleté, et du même coup apprendre des choses qu’on aurait préféré ignorer sur Josiane. Bref, on aurait dit que Josiane cherchait à faire de la pub pour sa chorale plutôt qu’à s’inscrire.
Ce que j’ai préféré, cependant, ce sont les chèques, car le chèque est un chemin semé d’embûches : il faut écrire le montant en chiffre ET en lettres (et c’est compliqué 1/ d’écrire le même et 2/ d’écrire correctement. J’en profite pour faire une petite page de publicité orthographique : 5 ne s’écrit pas cinque), il faut écrire un ordre (et le bon) et enfin il faut signer (notons que la date et le lieu sont optionnels pour de nombreux étudiants). Pour l’ordre, on observe deux attitudes diamétralement opposés. Il y a ceux qui ont peur de faire une bêtise et qui laissent l’ordre totalement blanc. Merci pour l’arrondissement de fin de mois, je vais me payer un nouvel appareil photo avec ça. Et à l’inverse il y a les flippés qui mettent carrément du scotch sur l’ordre par peur qu’on le modifie. C’est vrai que si je raye « agent comptable de l’université » pour écrire à la place « Alice MacAdam » ce ne serait pas du tout suspect, ils ne verront rien venir à la banque. Après, il y a ceux qui font des erreurs. Il y a les ex-lycéens qui viennent de recevoir leur premier carnet de chèques et qui écrivent « l’ordre de l’agent comptable », c’est très mignon. Il y a même l’étudiant étranger qui vient de recevoir son premier chéquier français et qui écrit « université (agent de l’ordre) », sans doute pour subvenir à l’entretien de l’hypothétique service d’ordre de l’université. Il y a aussi des boursiers qui ont très bien compris qu’ils ne payent que la médecine préventive et qui mettent le chèque à l’ordre de la-dite médecine préventive. Il y a aussi des non-boursiers qui ont compris qu’ils payaient la médecine préventive en plus du reste et qui font donc deux chèques : un pour l’agent comptable de l’université et un pour la médecine préventive. Pauvre médecine préventive, non seulement elle ne pourra jamais encaisser les nombreux chèques qui lui ont été adressés parce qu’elle ne forme pas une entité susceptible d’ouvrir un compte bancaire, mais en plus il n’a pas les moyens de se payer un agent comptable. Il y a aussi ceux qui économisent de l’encre et qui écrivent simplement « université ».
Enfin, il y a la signature. Déjà, il y a ceux qui l’oublient, évidemment. C’est dommage d’avoir réuni les nombreuses pièces dont le ministère de l’éducation supérieure est avide et de se voir néanmoins son dossier renvoyé à cause de ça. Il y a ceux qui appellent à la fraude et qui signent simplement de leur nom, pas stylisés. Enfin, il y en a même un qui signe d’un gros tourbillon à 30 tours, qui tient plus du « mon stylo n’a plus d’encre » que « je viens d’apposer ma signature sur un document officiel ».
L’étudiant a deux caractéristiques : il veut tout pour avant-hier et il veut payer après-demain. Par exemple, il y a des étudiants qui datent leurs chèques de la fin du mois. Très bonne idée ça. Et nous, on fait quoi ? on le met dans la boite « à inscrire à la fin du mois, pile au moment où on essayera de boucler tous les dossiers en attente » ? il y a aussi ceux qui mettent des post-it, pour demander un délai. Au risque de briser leurs illusions, en général on les enlève et on adresse le chèque à la compta, la maison ne fait pas crédit. Non mais vous imaginez « bon je vais acheter ce pantalon hors de prix, là. Ça vous ennuie si je le paye plus tard ? » ou « je voudrais réserver une place très convoitée. Comment ça il faut payer cette place ? jamais tu m’entends ? ». Comme cet étudiant qui a laissé gentiment un petit mot pour demander si on pouvait encaisser son chèque en septembre. Bien sûr, il vous faudra des gâteaux avec ça ?
Dans le genre « il me faut tout pour avant-hier », on a eu une étudiante qui demandait à ce qu’on lui délivre sa carte de l’année dernière, elle ne l’aurait jamais reçue. Certes, on ne comprend pas très bien pourquoi elle aurait besoin de sa carte plutôt qu’un certificat de scolarité, quelque soit le service administratif tatillon qui la demande, mais pourquoi pas. Mon collègue va pour lui faire sa carte. Seulement, il ne la trouve pas dans la base de données de l’éditeur de cartes. Il demande de l’aide à sa collègue, qui ne la trouve pas non plus. Commence alors une chanson à trois couplets chantés par ma collègue : « il fallait vous y prendre avant, ça fait un an que vous auriez dû réclamer votre carte », « vous pouvez vous inscrire à l’école doctorale et on vous fera une carte pour cette année » et « c’est trop tard, on peut plus rien faire ». La mélodie est scandée par le refrain de l’étudiante « j’ai besoin de ma carte de l’année dernière ». elles ont chanté ça en boucle pendant 10 minutes, avant que ma collègue n’introduise un nouveau couplet, autour duquel elle introduit des variations autour de « je vous demanderai de sortir, il y a des gens qui attendent » pendant encore 5 minutes avant d’en être débarrassé.
Dans le genre, on a eu une étudiante tout à fait sympathique, d’un âge respectable et affectée de légère démence sénile de toute évidence. Elle est entrée dans le bureau après que la responsable du service, excédée, l’ait poussé dedans. Elle a commencé par expliquer qu’elle n’était pas sûre de pouvoir se réinscrire, parce qu’elle n’a pas pu passer les examens de L1 les trois années précédentes pour raisons de santé et qu’il fallait que nous fassions le nécessaire. On lui explique qu’il n’y a pas de problème. Elle demande à ce qu’on lui mette un dossier papier de côté. Normalement on ne peut pas mais pour s’en débarrasser on lui dit qu’on le fera. Elle demande une exonération des frais d’inscription. On lui dit que c’est le bureau d’en face. Là, elle bondit sur ses pieds en s’exclamant « je ne l’ai pas dit à Mme la responsable ! je vais le dire à Mme la responsable ! ». On la retient de force. Elle demande alors à ce qu’on remplisse le dossier d’inscription avec elle, parce qu’elle n’est pas sûre d’y arriver seule. On se demande un peu comment une personne qui n’arrive pas à remplir un dossier d’inscription pour la quatrième fois pourrait apprendre une nouvelle langue. Toutes ces demandes e explications sont ponctuées de plaintifs « Madame… Madame… » et sont répétées plusieurs fois. Ma collègue essaye de lui faire comprendre que peut-être elle abuse un peu et prend ostensiblement en charge un autre étudiant, un qui a vraiment besoin de son aide, pour lui faire comprendre qu’il serait peut-être temps d’embêter quelqu’un d’autre dans le bureau en face. Encore sept ou huit « madame… » et elle finit par obtempérer. Elle n’obtiendra pas sa demande d’exonération.
Ce boulot m’a appris qu’être belle, ça marche, à voir l’empressement de certains de mes collègues à aider les jolies étudiantes. J’ai également pu explorer une différence fondamentale dans l’éducation sexuée des enfants : contrairement à ce qu’on croit souvent, ce sont les hommes qui sont incités à choper la diarrhée verbale, si j’en crois les nombreux commentaires appréciateurs sur les jolies étudiantes qui viennent de sortir du bureau, les jolies filles croisées à la pause déjeuner, voire les étudiantes jolies si on en croit sa photo d’identité. De même, des allusions à de nombreuses maitresses ont été glissées, un collègue ayant à appeler une jolie (d’après photo) étudiante a été abondamment charrié et des blagues sexistes ont été lancées. Mais pas de panique, ils sont féministes.

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