cigarette-and-coffee-milk

Dimanche 28 août 2011 à 20:16

http://voila-le-travail.fr/wp-content/uploads/2009/06/openspace.jpg


La deuxième semaine a été un peu plus sympathique, d'une part parce que j'ai eu une autre voisine de bureau (c'est-à-dire quelqu'un qui pense la bouche fermée) et d'autre part parce que j'ai découvert que certains de mes collègues étaient capables de mener de vraies discussions (c'est-à-dire ni des monologues ni de non-échanges verbaux décousus. En fait, traiter ses collègues de vieux, c'est vachement efficace pour briser la glace. A utiliser avec modération avec les femmes et les vrais vieux, en général ils finissent par se vexer) et surtout, j'ai appris à repérer les heures de pause matin et après-midi, de quoi meubler une à deux heures chaque jour.

J'ai pu profiter des joies ordinaires d'un bureau : j'ai supporté les discussions oiseuses de ma collègue et son efficacité, les allusions voilées à d'autres collègues jugés indélicats et les indispensables débats cinématographiques.

J'ai ainsi pu constater à quelles extrémités le manque de confiance en soi peut mener : sur la base de données de 160 fournisseurs dont je devais contrôler les informations s'y rapportant (dans une autre base de données), j'avais trouvé trois anormaux, que j'avais signalé à ma collègue (plusieurs fois). Mardi matin, elle m’a demandé de revérifier, pour être sûre qu'on se soit bien comprises (mais vu le nombre de précisions qu'elle m'avait demandé sur mes gribouillages, le contraire eut été hautement improbable). Mais au fond, elle a eu raison : rien n'avait été modifié. Je reste pantoise : ne pas avoir confiance en soi et demander des re-vérifications, c'est une chose. Ne pas tenir compte des re-vérifications, ça dépasse mon entendement. En tous cas, j'ai eu la confirmation que j'étais réellement payée à rien faire.

 

Mais ce n'est que la troisième semaine que j'ai commencé à me sentir vraiment intégrée à l'entreprise : j'ai été sous les ordres d'un petit chef, j'ai empêché mes collègues de travailler, j’ai dû attendre des nouvelles du service informatique, j'ai fait une gaffe et j'ai cancané en cassant du sucre dans le dos de certains collègues.

Lundi, j’ai été confrontée à un phénomène nouveau : un roquet. Bien sûr, ça faisait deux semaines que je voyais entrer dans mon bureau un moyennement supérieur au visage sinistre qui me saluait de loin avec une répugnance visible à m’adresser la parole. Mais il ne s’en était jamais pris à moi. Par contre, la dernière semaine, j’ai eu la chance de rencontrer un nouveau spécimen, un type qui ne se sent plus depuis sa récente promotion, et qui s’imagine qu’il est désormais supérieur, structurellement, à tous ses subordonnés (pardon, collègues). Mercredi, acculé par sa charge de travail, il m’a adressé la parole (bien que cela semble lui en coûter) et m’a confié une tâche en termes elliptiques. Ma collègue lui a demandé une traduction bilingue en français ordinaire. Une fois assurée de la nature de ma mission, je me suis mis à imprimer et à agrafer gaiment une demi-douzaine de feuilles, que j’ai posées fièrement sur le bureau du roquet. Il m’a regardé avec des yeux qui charriaient la banquise. Je me suis sentie obligée de bafouiller quelques mots genre « euh… c’est ce que vous m’avez demandé, les chiffres de chmiubilik goeif… ». Il feuilleta deux bonnes secondes avant de reposer ses yeux sur moi l’air de dire « on est cerné par des incapables. » et de me dire d’un ton implacable « non, c’est pas ça que je vous ai demandé. » Si, c’est exactement ce que vous m’avez demandé. Il re-regarda : « ah si pardon. C’est bon » genre « vous pouvez disposer ». Merci, maître. Le lendemain, il m’a fait relancer des entreprises au téléphone pour des réponses à des appels d’offre. Je les ai toutes appelées, laissant moult messages sur boîtes vocales. Avec le sentiment du devoir accompli, je suis allée déjeuner. Quand je suis revenue, il m’a fait un coup sournois « vous me ferez un rapport de ce que je vous ai demandé ce matin ». Attendez, j’aurai dû prendre des notes ? Je m’en souviens plus, moi ! J’ai bafouillé un bilan à base de « euh… Beaucoup d’entreprises ne répondent pas. Ceux qui l’ont fait, en général, ils m’ont dit qu’ils s’en chargeaient… Euh… ». Bref, il était vachement avancé. Une semaine de plus dans cette entreprise et je me serai mise à la rédaction de notes de service et de comptes-rendus de mission.

A la fin, mes pires craintes se sont confirmées : on m’a donné n’importe quoi, pourvu que ça m’occupe, comme relancer au téléphone des gens auxquels on avait déjà envoyé un mail. A moins que cela n’obéisse à des motivations moins avouables. Par exemple, le roquet m’a donné à faire 100 ou 200 photocopies issues de quatre gros classeurs, j’en ai eu pour une heure peut-être. Bien sûr, il aurait pu prendre les classeurs lui-même pour faire ses vérifications au lieu de m’en faire photocopier le contenu. Mais je comprends que ce soit difficile de résister au plaisir d’envoyer sa soubrette à la photocopieuse. La forêt amazonienne lui envoie ses meilleures pensées. Sinon, ma collègue préférée m’a donné à faire des étiquettes. Bien sûr, elle aurait pu les faire elle-même puisque comme elle me l’a répété une bonne douzaine de fois « c’est calme en ce moment… il n’y a pas beaucoup de travail… » mais elle n’a tellement pas confiance en elle qu’elle a préféré s’en remettre à mon bon goût ou plutôt mon goût tout court (« fais comme tu veux… enfin non ça c’est un peu trop… C’est bien un mais c’est un peu trop… Mais tu fais comme tu veux. »), un peu comme la fois où elle m’a demandé mon avis sur un organigramme (ultra-classique, à deux niveaux. Comment avoir un avis là-dessus ?).

Le dernier jour, ma technique de survie était affinée au maximum : de 9h10 à 10h, pause café, parce qu’on ne peut pas être efficace si on n’est pas à tête reposée. De 10h à 11h, consommation de croissants apportés par mes soins (dernier jour oblige) avec des collègues, en attendant le retour du service informatique puisque identifiant en panne. 11h à 12h, travailler un peu histoire de. 12h à 13h, pause déjeuner. 13h à 14h, pause café, histoire de se concentrer et se remettre en mode travail. 14h à 15h, travailler un peu. 15h à 16h15, squatter les bureaux de mes collègues pour bavarder et les empêcher de travailler. Il faut dire que mon bureau légitime était un terrain miné : les derniers jours, il servait de prétexte à ma collègue niaise pour bourdonner autour, pour me parler à l’insu de mon plein gré et regarder ce que je fais et me demander de lui expliquer, comme si la complexité des tâches qu’on me confiait nécessitait sous-titrage (oui je compose des numéros de téléphone et je ne pense pas que le fait que je sois une « intello » me donne une capacité spéciale qui fait que ma façon d’effectuer cette tâche est vachement plus efficace et enrichissante que quand elle est faite par quelqu’un d’autre) 16h15, heure de la libération. En fait, c’est cool la vie active. Ma collègue niaise m’a répété plusieurs fois que je vais lui manquer, qu’elle aime mon style, ma personnalité. C’est sûr que moi au moins, j’en ai une.

À la fin, plusieurs de mes collègues m'ont demandé de faire un bilan de ces trois merveilleuses semaines. Sur le coup, tout ce que j'ai trouvé à dire c'est « euh... l'ambiance est bonne... Euh... les gens sont sympas.... ». C'est sûr que c’était difficile de vanter les qualités des tâches qu’on m’a donné à faire ou les compétences que ça m’a permis d’acquérir. Bien sûr, j’aurai pu dire que ça a été une formidable expérience humaine dans la mesure où j’ai pu rencontrer des gens dont l’inintérêt dépasse tout ce que je pouvais imaginer. Ou que j’ai pu observer l’application de mes cours de sciences sociales : les rigidités bureaucratiques, parfaite illustration du cours « l’entreprise, entre marché et organisation » avec les responsables des échelons intermédiaires qui tentent de profiter de leur position pour capter un peu de pouvoir au détriment de l’efficacité. J’ai aussi découvert trois manières de s’attirer la sympathie : les mauvaises blagues, les croissants et les mini-jupes (bizarrement, celui-là, il marche moins bien avec les femmes). Et que quelqu’un peut te monopoliser pendant deux déjeuners en mode moulin à paroles et s’avérer très sympa au cinquième contact. Mais bon, c’était un peu long à expliquer.

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/trackback/3133209

 

<< Reine blanche | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | Reine rouge >>

Créer un podcast