cigarette-and-coffee-milk

Vendredi 6 mai 2011 à 17:04

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Echolalie. C’est comme une chanson qui porte ton nom, Cassie. Tes yeux m’ont dit « rejoins-moi de l’autre côté » et depuis je n’en peux plus de te suivre. Quand je t’ai rencontrée, j’étais comme fou. Une Ophélie était morte par erreur, par ma faute, on m’avait pris pour un dingue et j’avais été enfermé à l’asile peu à peu je reprenais le contrôle sur moi-même, je me sentais presque comme un humain. As-tu déjà eu cette sensation merveilleuse de sentir tes pensées claires à nouveau ? J’espère que je t’ai fait renaître.
Tu étais toujours sur le même banc au fond du parc de l’asile, tes yeux lointains ne semblaient pas voir la pelouse vers laquelle tes yeux étaient toujours rivés. Ta compagne de chambre te murmurait des secrets en peignant tes cheveux, tu répétais tout distraitement, à voix basse.
Je ne sais pas ce qui m’a poussé à m’approcher de toi : tes yeux de porcelaine, tes cheveux comme de la soie ou ton allure de marionnette aux fils coupés.
J’ai attendu que ta colocataire s’éloigne quelques instants pour m’installer à côté de toi. Tu n’as pas paru avoir conscience de ma présence à l’époque tu n’avais l’air d’avoir conscience de rien. J’ai pris ta main et brusquement tu m’as jeté un regard perçant, c’est la première fois que je te voyais sortir de ta catatonie. Et puis tu t’es éteinte et ta tête a dévié sur le côté à nouveau. J’ai alors su que tu étais celle que le destin plaçait sur ma route pour me sauver, une fois encore.
Je laissais mes doigts courir sur tes bras nus, tu ne semblais pas t’en rendre compte, tu te laissais faire et moi je me demandais comment j’allais faire de toi une Ophélie alors que tu ne semblais même pas m’entendre. Ta voisine de chambre est revenu, elle s’est mise à crier, visiblement contrariée qu’on lui ait emprunté sa poupée préférée mais moi non plus je ne l’entendais plus, tu prenais toute la place.
J’ai gracieusement cédé ma place, en réfléchissant à un plan. De toute façon, tu étais coincée là-bas et moi aussi.
J’ai commencé à m’assoir à votre table lors des repas, ta protectrice grimaçait et tu répétais nos invectives d’un ton monocorde. Et si elle se mettait en rempart entre toi et moi, elle ne pouvait pas m’empêcher de te regarder. J’y passerais des heures.
Après quelques semaines, je n’avais toujours pas d’idée géniale pour te sortir de ton sommeil. Je décidais que si le psychiatre de l’institut ne s’en sortait pas, il n’y avait pas de raison que je m’en sorte mieux. Ce n’était qu’une question de temps. Et du temps, j’en ai toujours eu à revendre.
Un jour, profitant de la séance hebdomadaire de ta colocataire, je me suis glissée dans votre chambre.
Tu étais assise sur le bord du lit, les yeux rivés vers une photo sans doute vendue avec le cadre, les mains croisées sur ton giron, en attente. J’étais seul avec toi, je regardais ces yeux qui ne semblaient ne plus rien vouloir observer, et soudain j’ai été empli d’un désir immense de cet objet que je ne pouvais pas posséder, que personne ne pouvait posséder. Mais tu étais là, à portée de main, je pouvais te prendre si je le voulais, tu ne dirais rien, personne ne saurait rien… J’étais déjà penché sur toi, mon visage près du tien, sur le point de t’embrasser, tes yeux regardaient ailleurs, comme si ça t’était égal (après tout ce n’était que ton corps, le corps dont tu étais prisonnière, et avec lui la réalité), brûlant comme je ne l’avais pas été depuis des siècles, presque humain.
Mais j’ai suspendu mon geste, j’ai passé mon bras autour de tes épaules et j’ai recommencé à te parler de mes Ophélie, profitant de notre rare intimité. C’était un matériau trop brut encore et trop parfait pour que je risque de l’abîmer d’un coup de burin hâtif. Ce n’était amusant que si c’était toi qui en avais envie. Pourtant, tu avais rallumé un feu que j’avais longtemps cru éteint.

Dans les mois qui suivirent, après que j’ai le sentiment que tu t’étais habituée à ma présence, j’ai décidé de prendre mes distances. Ta colocataire ne masqua pas sa satisfaction, mais je guettais surtout les signes de manque, de désarroi sur ton visage mais tu étais aussi éteinte qu’à l’ordinaire. Ce n’est que quelques jours plus tard que ta camarade vint me trouver « il faut que tu reviennes, elle ne parle plus. ». Après quelques hésitations pour la faire enrager, je me décidais à la suivre. Arrivé à ta hauteur, je fis signe à ta compagne de s’éloigner, ce à quoi elle consentit en trainant des pieds. D’un geste triomphant, j’ai replacé une mèche rebelle derrière ton oreille en te chuchotant quelques paroles rassurantes, que tu as répétées d’un ton chantant. J’avais gagné une bataille.
A partir de là, je décidais qu’il était temps de quitter l’hôpital. Je savais que ma sortie risquait de tarder (les faux papiers finissent toujours par vous causer des ennuis mais les gens ont tendance à ne pas me prendre au sérieux lorsque je leur tends un certificat de naissance datant l’ère élisabéthaine) et puis je me disais que sortir de l’hôpital te ferait peut-être faire des progrès.

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