cigarette-and-coffee-milk

Lundi 23 septembre 2013 à 12:31

Pendant qu’il regardait son verre d’un air absent, j’essayais de trouver quelle erreur j’avais faite. Je ne suis pas un mec romantique. En tous cas, je ne suis pas du genre à tirer des plans sur la comète après une seule nuit, aussi délicieuse soit-elle. Ni après les suivantes, d’ailleurs. Je n’attends pas grand-chose d’une rencontre heureuse. Juste un peu d’attention. Et c’est ce que je faisais à ce moment précis. En pure perte. Je m’écoutais raconter des anecdotes toujours plus insignifiantes, ponctuées de rires faux. Je transpirais le malaise. D’ailleurs, je ne cherchais à tromper personne. Mon interlocuteur ne m’écoutait pas assez pour cela.
J’avais l’impression qu’il était venu à ce second rendez-vous le couteau sur la gorge, et qu’il aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs. Non, même pas. Il était loin, depuis les bises vides qu’il avait plantées sur mes joues jusqu’à cet instant. Il était là comme on rend visite à un vieux parent sénile, quand on regarde sa montre comme une œuvre d’art mystérieuse et fascinante qui mobilise toute l’attention, jusqu’à ce que la durée minimum syndicale se soit écoulée et qu’on bondisse vers la porte. Je ne l’avais pas supplié, pourtant. J’avais même attendu les trois jours réglementaires avant de le recontacter, plus longtemps même, car j’avais attendu le coup de fil qu’il avait assuré me passer.
Je n’ai jamais compris cette indifférence envers les partenaires d’une nuit. Encore, quand la rencontre ne s’est pas bien passée, quand il n’y a aucune alchimie, quand on a couché avec le mec seulement pour le faire taire… mais quand on a passé un bon moment, personnellement j’ai envie de remettre ça. Je ne parle pas d’engagement. Mais combien de fois j’ai entendu « à très vite », « je t’appelle à la fin de la semaine », « moi, je ne suis pas du genre à abandonner les gens après avoir eu ce que je voulais ». Bon, je dis ça, je passe sûrement pour un indécrottable romantique, le genre à tomber dans les bras d’un beau-parleur et à m’accrocher à leurs mots qui s’émiettent au soleil… mais ce n’est pas ça. Ces mots, ils ont été prononcé au petit matin, alors que chacun retournait vaquer à ses occupations, que tout était fini. Et je vous jure que dans leurs yeux avait brillé cet éclat de sincérité un peu béate, qu’on porte à une personne qui nous a plu. Quand tout le corps de l’autre résiste à tourner les talons alors qu’elle doit partir, quand il vous assène « j’espère que ce n’est pas la dernière fois qu’on se voit » en vous regardant dans les yeux, comme s’il avait cherché une confirmation de votre part, l’aveu d’une étincelle.
Peut-être que ça vient de moi. Peut-être que je parviens à envouter mes conquêtes, je les séduis l’espace d’une nuit et le charme se délite dès qu’elles s’éloignent. Hypothèse plus optimiste quant à mon attractivité, peut-être qu’en ne relançant pas l’autre assez tôt, nous entrons l’un et l’autre dans une surenchère de protestations d’indifférence, celui qui résiste le plus longtemps a gagné. Peut-être que j’ai l’air d’un mec trop bien, que je décourage mes prétendants. Ou peut-être que je suis un mec qui s’oublie vite.
C’est comme si mes rencards me punissaient. Parce que moi, je n’aurais pas eu autant envie de le revoir, je n’aurais pas tant langui de sa peau sous mes doigts s’il n’y avait pas eu tous ces demi-engagements concernant des retrouvailles prochaines qui ont effleuré l’oreiller. A présent, il ne disait plus rien, il ne faisait même pas mine de se donner une contenance en sirotant son verre. Ce n’était même pas un ersatz de conversation pré-coïtale, quelques mots impatients ponctuant mon monologue en attendant l’heureuse conclusion.
L’heureuse conclusion. C’était peut-être ça, le malaise. Une fois les endorphines retombées et la fatigue chassée par une bonne nuit de sommeil, il s’était sans doute rendu compte que je n’étais pas un coup en or. Par flashs, les instants où je m’étais senti médiocre ce soir-là me sont revenus en mémoire. Comme ce truc que j’avais fait avec ma bouche, à un moment… il avait sûrement remarqué mes bourrelets en plus. C’est sûr, d’un point de vue purement esthétique, ce garçon pouvait prétendre à mieux. D’ailleurs, rétrospectivement je n’étais pas particulièrement à mon avantage quand je l’avais rencontré. Je ne sais même pas comment j’ai réussi à le ramener chez moi. En fait, c’était peut-être notre premier rencard qui était un malentendu. Ce soir-là, il avait peut-être eu envie d’essayer un genre différent et avait été déçu. Il avait voulu rendre quelqu’un jaloux. Il n’avait pas trouvé mieux. Plus j’y pense, et plus je me dis que si ça se trouve, je l’avais mis mal à l’aise lorsque je l’avais relancé. Je ne suis pas un romantique, mais je donne trop d’importance aux mots.
Ma conversation était de plus en plus décousue, ma voix me semblait stridente, et les verres que j’avais bus trop vite pour m’occuper les mains et les lèvres, pour ne pas affronter le silence bruyant du bar où je lui avais donné rendez-vous, n’arrangeaient rien. Si ça se trouve, il n’avait accepté ce rendez-vous que par loyauté envers ses fausses promesses, par obligation envers notre nuit, ou même par charité. Il a dû se dire que si je m’accrochais, c’est parce que je n’avais pas trouvé mieux.
J’ai fini mon verre d’un trait et je me suis tus quelques instants, le temps d’établir un plan de bataille. Il m’a lancé un regard interrogatif, sans doute surpris que ma parole se soit soudain tarie. J’ai paniqué. J’ai dit « désolé, je ne peux pas faire ça, je suis enceinte » et j’ai fuit. Il a dû se dire « tiens, c’est la première fois qu’on me fait le coup ».

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