cigarette-and-coffee-milk

Mardi 25 septembre 2012 à 16:56

Encore une soirée passée à ranger ton bazar. Tu n’apprendras donc jamais à être soigneux, à agir proprement ? Si ça n’avait pas été pour toi, jamais je n’aurai répondu à ces appels, jamais je n’aurai chargé mon sceau et mon éponge, mes sacs poubelle et ma scie pour entrer chez un inconnu en pleine nuit en prenant garde à ne pas allumer les lumières. Tu as de la chance que j’ai attendu si longtemps que tu me regardes, tu as de la chance d’être si beau. Oui, je t’aime, mais j’aimerai que tu m’appelles plus souvent. Sans doute tu te crois indigne des tâches ménagères, sans doute tu penses que c’est un travail de femmes ou de domestiques. Oui ça te ressemble bien, tu es si snob parfois.
Je me souviens encore de ton premier appel, j’ai accouru, tu étais recroquevillé dans un coin de la pièce, cerné par la crasse, jusqu’à ton visage était maculé. Alors je t’ai poussé dans la douche, pour ne pas t’avoir dans les pattes, et je me suis mis à l’ouvrage, ma triste besogne. Un homme qui pleure manque totalement de sens pratique.
Tu sais, plus tu m’appelles, plus tu me fais pitié. Car ce ne sont pas ces maisons que tu salis au fond, pas moi, quand tu m’envoies m’agenouiller pour récurer des parquets vitrifiés à l’eau de Javel, le visage du propriétaire encore figé à la surface, un rictus en travers des lèvres, c’est toi. C’est toi que tu souilles.
Maintenant que j’ai l’habitude, ma petite routine, je trouve ça presque reposant, apaisant. Jeter des sceaux d’eau savonneuse sur les murs et sur le sol après avoir tiré les meubles et les débris dans une autre pièce, éponger le sang et l’eau, lessiver avec ma petite éponge, passer une serpillère imbibée de chlore, gratter les tâches les plus récalcitrantes, tout aérer en attendant que ça sèche et épousseter, astiquer les meubles, la vaisselle et les poignées de porte, répartir les déchets dans les sacs poubelle, une inspection pour vérifier que je n’ai rien oublié, et charger mes instruments et les sacs dans ma voiture. Il y a une immense satisfaction à se dire qu’on a tut stérilisé. Pour un peu, je brûlerai la baraque, rien de tel que le feu pour assainir. Mais tu ne veux pas.
Si au moins tu agissais proprement. Le poison, par exemple. Le poison, c’est propre. Je ne pourrai pas toujours passer derrière toi, tu sais. C’est trop facile. Etre une star de cinéma n’excuse pas tout. On voit bien que ce n’est pas toi qui découpe les corps. Nettoyer, ce n’est pas grand-chose. Mais un cadavre, c’est lourd et ça prend de la place. La police finira bien par comprendre. Car tu dépends de moi et tu le sais. Il suffirait que je laisse un de tes cheveux sous une commande, oh, par inadvertance, une de tes empreintes sur un interrupteur, et tout serait fini pour toi. Moi je ne crains rien, je suis une fée du logis, rien de plus.
Au  début, j’ai accepté parce que j’étais si content que tu me remarques et je pensais que c’était un coup de folie, un crime passionnel comme ils disent. Et c’est si sensible, un acteur, je ne voulais pas que tu t’arrêtes de tourner à cause d’un quasi-accident, un peu de dérangement, un détail. Mais je commence à me dire que tu ne te rends pas compte, parce que ce n’est pas toi qui traine le corps. Mais c’est si bon de t’avoir en mon pouvoir. Personne ne le sait, mais la grande star est ma chose. Tu ne peux rien me refuser, pas même ton amour, car je sais où sont enterrés les mains et les pieds et les têtes et les cuisses et le reste. Alors la prochaine fois, je ne répondrai pas à ton appel. J’ai trop envie de voir comment tu t’en sors avec un chiffon.

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