cigarette-and-coffee-milk

Samedi 19 septembre 2015 à 15:27

 C’est amusant toutes les histoires qu’on peut s’inventer pour se rassurer. Je te jure, si tu me laissais te les raconter, je suis sûre que cela te ferait rire. On pourrait faire ça autour d’un dîner, je t’invite et je te distrais en t’énumérant toutes les absurdités qui me sont passées par la tête pour expliquer que tu ne rappelles pas, que notre histoire prenne fin. Je commencerais par les plus simples, les plus crédibles, celles où tu as perdu ton téléphone, où tu avais noté le mauvais numéro ou tu l’avais effacé par accident. Je te raconterais comment tu avais eu peur de tes sentiments, l’histoire traumatisante de l’engagement, la femme cruelle qui t’a rendu phobique, qui s’est jouée de toi et dont je te délivrerais, dont je te guérirais. Tu apprendras tous les problèmes familiaux, amicaux, personnels, dans lesquels tu t’es emmêlés ; la profonde crise personnelle que tu traverses et qui te donne le sentiment qu’il n’y a pas de place pour une relation dans ta vie. Je te parlerais de cette ex maléfique qui est revenue dans ta vue mais qui n’est pas faite pour toi, évidemment. De cette opportunité de voyage à l’étranger qui t’empêche de te projeter. De ce mariage arrangé contracté par tes parents à la naissance. Des obligations qui t’incombent en tant qu’héritier d’une obscure principauté. L’alcool aidant, je te dirais sur le ton de la confidence les détails de l’atroce accident dont tu as été victime et qui t’a laissé impuissant, vulnérable, rivé à un lit d’hôpital, peut-être amnésique. De cette mutilation, de ces blessures dont tu voulais me cacher l’existence pour ne pas perdre ton charme à mes yeux. De l’accident d’avion suite auquel tu as été porté disparu. De tes problèmes d’érection, même, de ton sentiment de ne pas avoir été à la hauteur pendant nos étreintes, de tes complexes. J’aurais posé une fiche Bristol posée sur la table et je les aurais énuméré un à un, le rose aux joues. Et tu me taquinerais gentiment d’avoir imaginé tout ça juste pour ne pas affronter l’horrible vérité, toute crue toute nue : je ne te plais pas.

On devrait rendre ça obligatoire, le débriefing post-relation. Pour exorciser, édifier et pour raisons humanitaires. Les relations amoureuses manquent de rituels. On sait rarement quand ça commencer, jamais quand ça finit. Il y aurait autant de larmes mais plus de certitudes. On pourrait remplir un questionnaire de satisfaction, un formulaire de rupture, afin de connaitre les douloureuses raisons pour lesquelles on a été rejeté.

Mais bien sûr, toi ça t’est égal. Tu es passé à autre chose. A quoi ? Je l’ignore. Pourtant, ça me semble une bonne idée, ce diner. Pour que tu me laisses une chance de te montrer qui je suis vraiment, tu ne m’en as pas laissé le temps. Je te montrerais combien je suis détachée en raillant mes espoirs, et combien je suis fragile, un vrai être humain avec de vrais morceaux de cicatrices affectives dedans, je pourrais te montrer mes nuances, je te jure que cette fille pourrait te toucher, te toucher vraiment.

Je pense que tu me le dois, ce diner. Certains hommes pensent bien qu’une fille leur doit de coucher avec eux s’ils les invitent à dîner, moi je pense que tu me dois un diner parce que j’ai couché avec toi. On choisirait le restaurant ensemble, rien de romantique bien sûr, une décoration sombre, un aménagement sobre et fonctionnel, pas de lumière tamisée, plutôt des lampes qui diffusent de la lumière crue, qui met les peaux à nu. Pas un troquet, rien de vulgaire, pas trop bruyant, un restaurant moyen de gamme, de la cuisine française, rien d’exotique, cela donnerait un ton trop personnel à la réunion de clôture.

Tu serais habillé comme d’habitude, on ne se met pas sur son 31 pour une ex et moi je me montrerais sous un jour nouveau pour toi, en jean, un T-shirt, une veste en cuir, sans recherche, moi à l’état sauvage.

Nous ne flirterons pas, nous parlerons de choses et d’autres et de notre histoire avec décontraction en bons camarades, nous ne prendrons pas de dessert et nous commanderons une bouteille de vin, tout cela sera de très bon ton.

A l’heure du rendez-vous, je t’attendrais à l’entrée du restaurant, les joues rosies par le froid, je te verrais avant que tu ne me voies, évidemment, ça me permettra de me ressaisir, de me rappeler pourquoi je suis là, mon cœur aura manqué un battement, puis tu me verras à ton tour et tu auras un petit sourire de soulagement, on se fera la bise, le serveur nous installera en se déplaçant avec la grâce féline d’un entremetteur et il ne pourrait pas être davantage dans l’erreur.

Tu vois, ce sera bien. Mais je sais déjà que tu ne viendras pas.

La discussion continue ailleurs...

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