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Dimanche 8 juillet 2012 à 19:45

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A quoi ressemble la pluie avant qu’elle ne tombe ? A quoi ressemble la flamme d’une bougie après qu’on l’ait soufflée ? A quoi ressemble une université quand elle est fermée aux étudiants ?
Pour les deux premières questions, je cherche encore, mais je peux désormais répondre à la dernière. Une université après le début des vacances d’été, c’est le feu sous la glace. Les couloirs sont vides, quelques étudiants éparses s’affalent à la terrasse de la cafétéria comme s’ils n’étaient pas prêts à partir encore. Mais ça s’agite en coulisse. Tous les administratifs courent d’un bureau à l’autre pour préparer les inscriptions. Tous ? non. Il y a les vacataires, les boulets à la cheville des titulaires, inutilement indispensables.
Un vacataire, on le fait venir au premier jour de juillet, avant le « rush » des étudiants, pour les briefer, les former, parce qu’il y a tellement de choses à savoir, à apprendre avant l’arrivée des futurs inscrits (et des futurs refusés). Enfin, il y en a tellement à savoir quand on veut former les vacataires à occuper cinq postes différents. En pratique, leur job sera d’une simplicité enfantine, à part les cas particuliers (dans ce cas, le vacataire d’université fera comme tous les vacataires : il appellera son supérieur) mais dans le doute, on rentabilise la formation en le noyant sous une foule d’information, de façon à ce qu’il mélange tout. Après deux heures de cours plus assommant qu’un cours de latin en 5ème (celui avec les déclinaisons), le vacataire sort prendre un café avec le sentiment qu’il s’est endormi après les 5 premières minutes (en tous cas, que son cerveau est entré en veille). Par contre, il a 10 pages de notes sur les situations exceptionnelles, des cas qui se présenteront deux fois au cours de sa vacation, qu’il ne relira pas.
Le problème des formateurs, c’est que d’une part ils sont eux-mêmes effrayés par la masse des choses qu’ils veulent enseigner ce qui leur fait sur-estimer (d’une semaine) la durée de la formation et d’autre part ils sont dé-bor-dés. La formation alterne donc entre une heure ou deux de bourrage de crâne, une pause (« prenez 15 minutes de pause. Revenez ici dans 20 minutes. Bon, on se revoit dans une demi-heure. ») et une simulation de « cas pratiques » où le formateur laisse 20 minutes pour réaliser une opération qui en prend 5 (la première fois). Les vacataires prisonniers dans les locaux et sous l’œil de leur cerbère-formateur commencent donc à adopter des stratégies occupationnelles, vu que le formateur avoue lui-même ne rien avoir à leur faire faire, mais il s’agit de ne pas trop le montrer des fois que le grand chef débarque. Dommage, j’ai plein de choses à faire mais un vacataire qui travaille devant un écran d’ordinateur, c’est trop suspect. Les pauses se multiplient, la pause-déjeuner s’étend comme du chewing-gum d’une heure à deux heures trente, il n’y aura rien à faire après le déjeuner, mais il faut quand même revenir, user les sièges à attendre, car l’université est responsable d’eux. A l’usure, le formateur les lâche avec une heure d’avance mais ça en fait deux qu’ils ont arrêté les cas pratiques.
La formation de vacataire, c’est le top. Déjà, ils ont droit à une réunion afin de leur présenter tous les administratifs avec lesquels ils ne travailleront pas et qu’ils ne feront que croiser dans les couloirs, plus une petite histoire de l’institution, histoire de montrer que l’université, c’est avant tout une grande famille. D’ailleurs, on se tutoie. Ensuite, on apprend à tous les vacataires pendant quatre longues journées pleines de courants d’air et d’arôme de café les détails des postes de saisie et de contrôle, sachant que seule la moitié d’entre eux feront ces tâches. Pour les autres, ceux qui ont des tâches spéciales, on essaye d’affecter des vacataires qui resteront trois mois, afin de rentabiliser la formation, qui en pratique prendra 5 bonnes minutes la semaine suivante.
Dieu merci, l’affectation suivra les vœux des vacataires. Enfin, tant qu’elle est en accord avec des critères objectifs d’efficacité. D’abord, on affecte « aux cartes » (la machine qui édite les cartes d’étudiants) un homme, car ils sont « plus techniques », « ça se vérifie souvent dans la pratique ». pour répondre au téléphone, une voix de fille c’est mieux (sauf si c’est technique ?). Pour la gestion des étudiants étrangers, un tel est réclamé par le formateur et pour l’encaissement des chèques, on choisit la fille d’une ancienne contrôleuse de gestion. Ceux qui préfèrent la saisie ou le contrôle des dossiers sont appelés à se manifester, mais leurs préférences sont écoutées d’une oreille discrète. On affecte à l’accueil des étudiants un timide qui n’ose pas protester et à la saisie une grande gueule qui peste à la pause.
Afin d’encadrer les vacataires, rien de tel qu’un roquet qui leur mordra les jarrets s’ils ne filent pas droit. Survolté par l’arrivée future des étudiants (créatures effrayantes par nature), il n’a de cesse que de bourrer le crâne des vacataires, de gré ou de force. Il n’hésite pas à demander à chacun des étudiants, les uns après les autres, en les regardant chacun dans les yeux « t’as compris ? et toi, t’as compris ? et toi, t’as compris aussi ? », sur un ton agressif comme si quelqu’un venait de lui dire qu’il avait le poil terne. Les vacataires terrorisés ne peuvent que répondre « oui », d’une petite voix, qu’ils aient compris ou non (enfin, sur une tirade de 20 minutes, difficile d’élucider ce qu’on a pas compris. Le lendemain, une pauvre vacataire arrivée en retard essayant de se faire discrète est accueillie par un « et toi, tu sais quel cas pratique tu dois prendre ? », tous crocs dehors. Euh, non, elle vient d’arriver… Notons que le lendemain, le roquet est tout sucre tout miel. Soit il a fait un tour au SPA, soit la thèse de la schizophrénie est à prendre en compte.

Jeudi 5 juillet 2012 à 17:48

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Cassie s’est enfuie. Je savais qu’elle faisait semblant, peut-être que lorsque je l’abandonnais quelques heures, lorsque j’allais voir un film pour séduire le caissier, lorsque je rendais les danseurs et les danseuses fous de désir dans les night-clubs pour le plaisir de les voir ramper, peut-être qu’elle lisait, peut-être qu’elle sortait, peut-être que dans son silence elle préparait son plan d’action, peut-être qu’elle répétait mes paroles pour couvrir ses pensées traitresses.
Je me suis toujours demandé comment on faisait pour retrouver quelqu’un. C’est tellement vaste un monde. C’est le moment de le découvrir. J’ai enfin une proie à pourchasser.

Jeudi 5 juillet 2012 à 17:46

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Elle était assise à l’autre bout du banc, tout au bord, droite, rigide, comme une fille de bonne famille qui aurait reçu un « tiens-toi droite » comme un coup de fouet. Elle ne semblait pas se soucier de la pluie fine qui perlait ses cheveux. Elle était comme d’habitude, elle était elle-même, si j’ose dire : elle était absente. Ma princesse, ma poupée de porcelaine, ma marionnette et mon enfant. Depuis que je l’avais sortie de l’hôpital, elle avait désappris à se nourrir, s’habiller, elle ne savait plus dormir non plus, elle passait des heures à regarder le plafond, allongée sur le lit où je l’avais étendue. Au début, j’ai cru que c’était le choc du changement, le nouvel environnement, loin de l’hôpital où tout était cotonné, rembourrée pour éviter les chocs : couleurs pastel, musique d’ascenseur, jours qui se ressemblent, nourriture insipide. Je pensais que c’était une chance, que je pourrais la façonner comme mon enfant, mais elle ne faisait aucun progrès, comme si elle me défiait.
 ***
Je me demande ce qui se passe dans la tête de Cassie. A quoi peut-elle penser toute la journée ? moi je deviendrai fou à rester en tête-à-tête avec moi-même en permanence, sans jamais rien faire d’autre que regarder le plafond, comme s’il avait des secrets à me révéler. Même la fenêtre semble la désintéresser, comme si le vaste monde la laissait indifférente, comme si elle ne pouvait pas se laisser happer par le spectacle des pulsations urbaines, comme si le flux des voitures dans les artères de la ville n’était pas le plus beau spectacle qu’elle ait jamais vu. Je ne sais combien de temps elle est restée enfermée à l’hôpital, elle ne semble pas en être sortie, enfermée dans ses propres rêveries hallucinées. Cassie n’est toujours pas là, repassez plus tard. Moi je deviendrai fou sans le chaos et la fureur, sans courir (après qui ? après quoi ? pour fuir quoi ? toutes les vies que j’ai réduites en poussière ? elles se sont éteintes depuis longtemps car je cours plus vite que l’horizon). L’inactivité, voilà ce qui me fait peur. Si je m’arrête, je vais me dévorer, car je suis affamé, il y a si longtemps que je suis affamé, il y a un démon en moi qui engloutit la nouveauté, les livres et les rêves, il y a un démon qui s’ennuie.
Cette époque me déprime, il y a quelques décennies encore je devais me battre pour le nourrir, je courrais le vaste monde pour rencontrer des sauvages et des étrangers, pour brûler des bibliothèques, et quel périple pour les atteindre, toutes ces singularités qui me distrayaient de moi-même. Mais aujourd’hui tout est tellement facile, à portée de main. Même lire devient fatigant car je connais toutes les intrigues et je moque des mathématiques, je ne crois plus aux sciences depuis que je suis immortel, je rêve du remède qui pourra me guérir. Je ne sais plus me concentrer. Il n’y a guère que les humains qui me fascinent encore parfois, englués dans leur toile ils se débattent, ils veulent atteindre le sommet sans se rendre compte que la seule chose qui les y attend c’est l’araignée.
Alors bien sûr j’essaie d’en sauver certains, leur apprendre à courir, les tailler à mon image sans ternir leur éclat propre, ce qui les distingue de moi, hommes ou femmes, les élus, mes Ophélie. Mais tous se sont brisés, tous étaient trop faibles pour la vie éternelle. Comment Cassie fait-elle pour ne pas être lassée d’elle-même ? peut-être qu’elle est cassée, qu’elle a perdu les mots, qu’elle a perdu le sens, pâle écho des autres, un reflet. Ou alors elle fait semblant, elle a fait semblant toutes ses années, peut-être qu’elle joue aux échecs contre elle-même et peut-être qu’elle gagne. Et alors ce n’est pas un diamant, c’est un soleil, un être enfin à ma mesure. Un être qui ne sera pas ébloui par moi, un être qui me résiste. Mais comment la séduire si elle ne m’écoute pas, réfugiée en elle-même ?
Peut-être qu’elle rêve, fascinée par sa propre imagination. Dans le rêve on peut être avec tant d’intensité, le corps et toutes les pensées parasites disparaissent, il n’y a plus passé ni futur, il n’y a que l’instant présent, un éclat en plein cœur plus que tous les boucliers qu’on érige autour de soi disparaissent et tout parait tellement intense. Je n’ai connu l’absolu que dans le rêve et il y a longtemps que je ne rêve plus. Il parait que pour rêver il faut avoir une âme.
Si elle ne se réveille pas bientôt, je crois que je vais la tuer. Car rien ne me fait plus saigner que d’attendre.

Mardi 29 mai 2012 à 13:07

Misstigrihttp://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/images/Misstigri15.jpg

Il y a une douce jubilation à veiller tard. Je ne parle pas des soirées qui s’éternisent, on ne profite jamais aussi bien de la torpeur quand on est en société. J’aime combattre les toiles du sommeil seule, avec le sentiment que chaque minute supplémentaire est une minute gagnée sur le temps lui-même. La nuit devient un cocon, le temps semble s’étendre à l’infini, une éternité de solitude, de temps pour soi. C’est un temps pour lire ou pour écrire, c’est un temps intime. C’étourdissement devient un compagnon, un confident, presque une fête. Et comme toutes les fêtes, l’addition se paye le lendemain, lorsqu’on s’éveille et que la moitié de la journée s’est déjà évaporée. Alors on vole encore quelques instants aux étoiles, en attendant que la nuit l’emporte.

Mardi 29 mai 2012 à 13:05

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Revoilà les jours d’été et leur temps poisseux, qui s’étirent comme le fil des guimauves. A moi les jours qui s’étendent comme des nuits. Je me souviens du goût des embruns, de l’odeur du soleil qui jouait avec ma peau dans ces jours de paresse où rien n’avait de sens et le monde et sa course et ses horloges détraquée… j’ai banni les aiguilles et les cadrans, je dévore un roman et un jus de fruit, protégée par la caresse du sable liquide qui se glisse sous mes vêtements, la mer me murmure des secrets… je suis loin. Les jours d’été, rien n’a d’importance, car il n’y a ni début ni fin, les jours n’ont plus d’horaire. Je n’ai besoin de rien, le vent me nourrit et l’absence étanche ma soif. Les jours d’été sont une fête qui dure une saison et les chants et les danses sont les échos lointains du jour où il faudra se lever à nouveau, s’étirer et s’ébrouer pour chasser les éclats de chrysalide qui collent aux cheveux et marcher à nouveau, les épaules alourdies par mille nouvelles planètes.

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