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Mercredi 10 avril 2013 à 1:21

Seuls une très grande misère et un amour certain du sarcasme ont pu me pousser à retourner sur un site de rencontre. Pour ma misère, elle en est au même point, à moins qu’elle ne se soit aggravée, avec beaucoup de temps perdu en plus, mais j’ai encore parlé à de nombreux spécimens, le genre qui ne sort jamais au grand jour dans le monde réel. Je ne sais pas si ce sont mes photos qui les attirent, ou si ils font le coup à tous les profils jusqu’à ce qu’il y ait un être féminin potentiel derrière le pseudo qui accepte de leur répondre, mais j’ai bien ri.
 
Tout d’abord, l’arrivée du printemps ôte aux hommes d’âge mûr toute inhibition. La société patriarcale dans laquelle nous vivons leur font croire que le monde (et notamment les filles de la moitié de leur âge) sont à leurs pieds et qu’elles n’attendent qu’un signe de main virtuel pour les rencontrer. Dommage que je ne sois pas du genre fan des sugar daddy, je n’aurais plus à m’inquiéter pour avoir des relations masculines. Certains ont la décence de tenter l’humour et de faire croire qu’ils vous parlent pour votre personnalité (« j'ai 48 ans... Oui, je sais : 26 ans de différence, je pourrais être votre père… J'ai connu l'époque des téléphones reliés au mur par un grand fil, ce qui fait de moi un dinosaure... et en plus je ne suis pas étudiant en sciences humaines. Mais votre fiche mérite bien un charme. » Justement je peux aspirer à quelqu’un qui ne fera pas de moi une coureuse de dot). Du coup ils vouvoient, histoire de bien marquer l’écart dès le premier message, rien de mieux pour briser la glace. Certains tentent de le faire oublier par un langage qui se veut subtil en vous expliquant qu’ils sont sensibles à votre visage (le visage, mais bien sûr), « de quoi m’exciter tout seul dans mon coin… ou partager cette excitation avec vous ? ». Vous faites bien de poser la question, c’est non. Faute de réels arguments (c’est-à-dire leur jeunesse), ils n’hésitent pas à se présenter comme un challenge, à base de « à vous de voir si vous avez envie d’ « expérimenter » un amant plus âge », mode « plug’n’play », en mettant en avant les avantages de « l’expérience », qui « a un côté hors de l’ordinaire qui change ». Je me vois répondre « vous avez raison, j’ai fait le tour des hommes de ma génération, c’est d’un lassant ». Mon préféré est quand même « Fiftyshades », 15 ans de plus que moi, crâne rasé et vraiment pas très séduisant, qui me demande ce qui m’a décidé dans son profil à le laisser me parler. Je lui réponds que c’est la curiosité, le goût du sarcasme et la recherche du temps perdu, dont il était fait mention dans son profil, ce qui est suffisamment rare pour lui laisser une chance (ma sapiosexualité me perdra). Imperméable à ma franchise espiègle, il me demande si j’ai « mesuré l’écart de nos ans ». J’aurais dû lui répondre que non, vu que je n’ai pas de double décimètre. Ensuite, il souligne l’écart de la « maturité de nos goûts » (comme si le SM était une question de maturité et pas de préférence personnelle…) et me demande « qu’en pensez-vous ? n’avez-vous pas peur ? ». Dans la mesure où on ne se rencontrera jamais, je le vis plutôt bien.

Ça doit être le fait de ne pas se rencontrer tout de suite, mais les hommes des sites de rencontres sont obsédés par l’explicitation des intérêts mutuels. En gros, ils veulent vous dire pourquoi ils ont commencé à vous parler et veulent savoir pourquoi vous avez commencé à leur parler. Dans la vie réelle, on attend juste que les choses se mettent en place toutes seules mais sur les sites de rencontres, il faut savoir pourquoi on se parle, peut-être pour se découvrir des points communs, peut-être dans l’espoir de marquer des points par une avalanche de compliments, peut-être dans une logique d’optimisation afin de mettre l’accent sur ce qui marche. A part quelques hommes qui tentent de révolutionner les rapports entre les sexes en jetant la galanterie aux vestiaires et en vous expliquant qu’ils vous « aurai[ent] bien baisé », la plupart expliquent que tu es bien jolie, ce qui est doublement stupide comme entrée en conversation parce qu’il n’y a rien à répondre à part merci et parce que les personnes sont rarement aussi jolies que la photo de profil voudrait le faire croire. A l’inverse, certains sont turlupinés par le « comment tu me trouves physiquement ? », le genre de questions qui découragent toute réponse sincère. Le pire, c’est ce type avec qui j’ai mis la webcam. 10 minutes après le début de la conversation, il me demande « tu me trouves comment ? ». La réponse étant « affreux », je louvoie en arguant que je préfère ne pas répondre, vu que ce n’est pas le genre de questions qui amènent des réponses sincères. Il aurait dû se douter que la réponse était contenue dans ma non-réponse, mais vaille que vaille, il veut une réponse honnête, dit-il. Il insiste pendant 15 minutes, malgré mes évitements polis. Mon silence agacé ne lui met pas la puce à l’oreille, il me demande si je suis têtue, en mode hôpital qui se fout de la charité.
 
Il n’y a rien de pire que les types qui demandent « qu’est-ce que tu cherches ? ». Sur un site de rencontres, c’est quasiment rhétorique. Mais ils la posent quand même. Que répondre si on veut éviter le scabreux, le prudent « faire des rencontres, c’est un site de rencontres non ? » ne les contentent généralement pas (comme dans ce morceau de bravoure : « - que cherches-tu ici ?! – à faire des rencontres. Et toi ? – une aventure ! et toi », avant d’enchainer sur le très urbain « tu as des tabous des fantasmes ? »), pas plus que les doux euphémismes comme « amitié-câline » ou « friends with benefits », qui ne signifient rien de moins que « du sexe, mais pas avec le premier venu ». D’emblée, ils obligent leur interlocutrice à se placer dans un camp : celles qui disent chercher une histoire « sérieuse » par indécrottable romantisme ou indécrottable volonté d’éviter les hommes un peu trop pressants ou celles qui prennent le risque d’avouer qu’elles sont sur un site de rencontres justement parce qu’elles cherchent un certain type de rencontres, au risque de rentrer dans la catégorie « fille publique ». Le plus agaçant, c’est que souvent ce genre de détails est généralement précisé sur le profil, justement pour éviter cette embarrassante question qui brise l’illusion qu’on s’inscrit dans un site de rencontres pour se faire des amis de l’autre sexe. Clairement, il s’agit d’une ruse pour obliger la fille à révéler que oui, elle a une libido, comme un homme quoi. Et la pousser à accepter implicitement une possible conclusion heureuse au rendez-vous, même si le type n’est pas à la hauteur de leurs attentes. A moins que ce soit le moyen d’aborder tout en douceur la question des préférences sexuelles, le genre de points à aborder impérativement avec quelqu’un qu’on n’a jamais rencontré.
 
Toutes ces précautions ne suffisent généralement pas, certains traduisant très rapidement « amitié-câline » par « on baise ? ». Ainsi, un charmant jeune homme ayant insisté pour avoir la réponse à la fameuse question « mais que cherches-tu ? » demande « quels sont les critères pour partager un câlin avec toi ? » avant de proposer une rencontre à 23h33. 23h33, un peu tard pour se retrouver dans un lieu public, c’est-à-dire la moindre des précautions pour rencontrer un inconnu. Qu’à cela ne tienne, il propose de s’inviter chez moi avec un manque total de délicatesse et d’à propos, en expliquant que « ça peut être magique non ? ». Argument imparable. Je peux aussi commander une pizza, le rendez-vous avec le livreur ou la livreuse pourrait être magique. Rien, ni la fatigue (« tu peux faire une sieste avant que j’arrive »), ni l’évocation du doute qu’on ne sait jamais qui se cache derrière le profil (« si c’est pas moi, tu m’ouvres pas ». tout va bien alors !), ni les refus répétés ne le découragent. De rage, il demande alors à la fille de cesser de lui parler parce qu’il « savai[t] que c’était pour faire parler les bavards ! ». A-t-il conscience de la différence entre accepter de rencontrer un type dans l’optique de coucher avec et l’inviter chez soi en pleine nuit ? Apparemment, non. Si tu ne te mets pas en danger, tu es une allumeuse.
 
Les sites de rencontres permettent également de faire une toile de empreintes virtuelles qu’on laisse sur le Net. Ainsi, un type qui ne parvenait pas à me parler sur le site de rencontre faute d’autorisation a cherché le pseudo sur Google et a créé un compte sur un forum pour envoyer un message à un pseudo identique dans l’espoir que ce soit la même personne. Coup de chance, c’était moi. Jusque-là, c’est un peu surprenant mais pourquoi pas. On échange quelques mots, quand soudain il balance mon prénom dans la conversation, qui n’est évidemment ni sur le site ni sur le forum. De fait, il l’a trouvé sur un troisième site où j’utilisais le même pseudo. Ça devient déjà un peu inquiétant, jusqu’à ce qu’il m’ajoute en ami sur Facebook. J’ai vérifié, ça ne fait pas partie des référencements Google à partir de mon pseudo. Son profil Facebook est une coquille vide, faux nom et fausse photo tiré d’un film bien connu, 8 amis. Je n’avais plus trop de doute sur la nature de son intérêt pour ma personne quand après quelques échanges philosophiques d’une qualité aussi rare qu’appréciable, il me demande « où [je] me situe par rapport à la sexualité et à l’érotisme ». Depuis, il s’étonne que je ne réponde plus à ses messages.
 
Cependant, le clou de la saison, c’est ma rencontre avec une lesbienne sur un site de rencontres hétérosexuelles. Elle engage la conversation, le courant passe bien, elle m’explique qu’elle est lesbienne, qu’elle cherche à parler à des filles (ce qui est un peu un comble sur un site où il est question d’adopter un mec), avant de m’expliquer que je suis magnifique, merveilleuse, divine. Enfin, d’après les photos et ma charmante conversation. Bref, je l’ai séduite en moins d’une heure. On discute, le ton devient plus intime, elle demande à me voir à la webcam. Jusque-là pourquoi pas, sauf que c’est une conversation à sens unique, elle n’en a pas. Etrange mais possible. Visiblement enhardie par mon acceptation, elle tourne très vite la conversation vers un objectif unique : me voir nue. Mes maigres concessions ne la calment pas mais la font au contraire redoubler ses exigences, encore et encore, on se connait à peine mais elle ne survivra pas si elle ne voit pas tout, martelant ses directives comme si je lui devais quelque chose, avec quelques compliments comme pour endormir ma vigilance et me pousser à m’exhiber devant l’œil aveugle de la caméra, tant et si bien que son insistance devient suspecte : mais pourquoi y tient-elle tant ? Rien ne la fait dévier de son objectif, ni l’invocation de la fatigue, du manque de goût pour ce genre de pratiques ou de la prudence la plus élémentaire. Pour répondre à mes légitimes objections (telles que « et si au lieu d’être la personne que tu prétends être, tu étais en fait un homme obèse de 55 ans à qui j’ai encore moins envie de faire un strip-tease ? » ou « et si tu étais en train d’enregistrer la vidéo ? »), elle m’envoie des photos d’une fille dénudée, m’explique que du coup j’ai un moyen de pression sur elle dans la mesure où j’ai des photos d’elle sur mon disque dur tandis qu’elle n’a pas de trace de ma vidéo. J’ai les photos d’une fille dont je ne sais pas le nom et qui ont peut-être été trouvées sur Internet. Quel moyen de pression. Par contre, dès que je pose une question un peu personnelle, comme… son prénom, elle refuse de répondre, quand elle ne l’ignore pas carrément. Avec elle, on partage les images de peau, pas les informations biographiques. Je finis par lui demander de me donner au moins son Facebook et son numéro avant d’aller plus loin, comme préalable au reste (il s’agissait tout de même de savoir si elle était bien ce qu’elle prétendait être). Elle tente d’abord de plaisanter devant ma méfiance, avant de s’énerver, comme si j’étais en tort. Elle présente désormais mes refus comme une trahison de ma part, apparemment j’ai joué avec elle, et drapée dans sa dignité blessée, elle se réfugie dans la bouderie, très drama gouine. Alors que c’est elle qui essaye de m’imposer sa volonté, c’est moi qui ai fauté. Elle accepte finalement de m’adresser la parole quelques jours plus tard, et plutôt que de passer à autre chose comme elle le propose, elle revient sur le sujet, présentant mon refus comme la preuve qu’elle ne me plait pas. Rappelons que je n’ai toujours aucune preuve qu’elle est bien la jeune fille que son profil prétend qu’elle est. J’ai beau lui expliquer que je n’ai juste aucun goût pour l’exhibition, elle insiste encore et encore pour que j’accepte de me dévoiler, toujours sans se montrer elle-même, pendant une vingtaine de minutes, m’expliquant qu’elle, elle en a très envie. Un argument décisif. En bref, on peut croiser des filles encore pires que les hommes sur les sites de rencontres hétérosexuelles.

Une nouvelle cuvée placée sous le signe de l’obsession, mais bizarrement, pas que sexuelle. Il faut aller sur un site de rencontres pour se rendre compte de sa valeur sur le marché affectif. Ou pour éliminer les nombreux lots défectueux qu’on n’aurait jamais découverts si on ne s’était pas inscrit.

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