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Mardi 4 octobre 2011 à 9:50

Quelques mois avaient passé. Elle avait rêvé d’une histoire passionnée, haute en couleurs, fantaisiste, bref une histoire de roman. Elle avait rêvé de passion intellectuelle, elle avait cru qu’avec lui elle pourrait réaliser cette antithèse. Mais ce qu’elle attendait de lui, il ne pouvait pas le lui donner. Il faut une certaine dose de narcissisme, et beaucoup de patience pour devenir un Pygmalion. Mais il n’avait pas le temps, pas l’ambition de la « former ». Bien sûr, il n’avait rien contre le fait de parler de leur centre d’intérêt commun, confronter leurs lectures, mais il n’avait pas suffisamment forgé sa propre pensée encore pour pouvoir laisser sa marque sur quelqu’un d’autre. Peut-être aurait-elle eu plus de chance en se tournant vers quelqu’un de plus âgé.
Mais c’était trop tard. Elle s’était engluée dans leur relation amoureuse, ce n’était même pas une histoire, c’était un court-métrage qui passait en boucle, toujours le même rendez-vous. Ils commençaient à bien se connaitre. Bien sûr, elle savait qu’en le fréquentant, elle allait être démystifiée, il ne pourrait plus être cet être lointain et éblouissant qu’elle avait aimé sans le connaitre. Mais le savoir ne rendait pas le constat de voir la magie s’éteindre plus facile. Pour l’instant, la nouveauté compensait la déception, mais elle sentait que sous peu, elle aurait besoin d’autres expédients. Encore une fois.
Et bien sûr, il ne se rendait compte de rien, il était trop tôt encore, ce genre de fièvre est toujours cachée sous la surface, le feu sous la glace.
Les histoires d’amour, c’est une habitude comme une autre, la rationalisation du plaisir, une perte de temps agréable, transformer ce qui advient en ce qui convient. Mais il n’est pas donné à tout le monde de se rassasier d’un seul être.
Elle se sentait prête pour une nouvelle aventure. Il ne lui manquait qu’un partenaire, n’importe qui, une occasion, elle rêvait déjà de se dépayser le cœur. Ce n’était plus qu’une question de temps.

Mardi 16 août 2011 à 13:39

En arrivant à l’appartement, elle fut surprise : elle s’attendait à une garçonnière meublée sommairement avec du linge sale dans les coins, une tour de Pise dans l’évier et des moutons de poussière en embuscade. Elle oubliait facilement qu’il n’était pas un étudiant, qu’il était de l’espèce supérieure dont rêvent certaines jeunes filles : les jeunes adultes, matures et responsables.
 
Ce qui lui plaisait surtout dans l’appartement qu’elle venait de découvrir, c’était les plantes vertes qui emplissaient le salon, grimpant vers le plafond. Elle se dirigea vers la bibliothèque, c’était sa façon à elle d’apprendre à mieux connaitre quelqu’un, elle était fascinée par les livres de toute façon, et puis cela lui donnait une contenance. Car maintenant qu’elle était arrivée chez lui, qui la suite des événements semblait cousue de fil blanc, elle avait des scrupules : ce moment, celui d’un dénouement heureux avec son Prince Charmant (ils s’embrassèrent et eurent une belle d’histoire d’amour), elle en avait longtemps rêvé, pourquoi précipiter les choses ? Pourquoi ne pas faire de cet instant une étape magique ? D’autant que la fièvre qui avait poussé le Prince à la faire monter chez lui semblait éteinte (sur le trajet, ils avaient échangés des baisers furtifs et des sourires ravis, faute de meilleure idée), il était resté près de l’entrée tandis qu’elle parcourait les titres des rayonnages. Elle aimait les bibliothèques bien rangées et bien remplies, et celle-là lui convenait. Elle garda ses suggestions pour plus tard. Bien sûr, elle avait envie de lui en emprunter une bonne vingtaine mais elle se dit que cela pouvait attendre. En la voyant consulter la quatrième de couverture de tel ouvrage, il s’approcha d’elle pour en faire le commentaire. Puis ils firent l’inventaire des mérites et défauts respectifs des auteurs en sociologie de l’éducation. Puis ils s’assirent sur le sofa pour débattre de leurs points de vue sur le sujet.
 
Ça y était, la machine était lancée. Ils réfléchissaient ensemble. Un double pour tester et affermir leurs idées, un guide, elle en avait longtemps rêvé. C’était un peu décevant bien sûr (ce n’était pas l’explosion intellectuelle qu’elle s’était représentée maintes fois), la réalité l’est souvent, mais c’était indéniablement stimulant. C’était comme si avec lui, elle était totalement en confiance, à l’aise, se laisser porter par les mots, dériver dans la discussion, sans craindre d’être mal comprise, de voir ses arguments réduits en miettes. Elle était bien, elle aurait voulu que la conversation ne cesse jamais, elle aurait voulu l’enregistrer pour s’en souvenir toujours. Lui par contre commençait à se lasser de rompre les lances dans cette joute verbale, de mener des combats d’arrière-garde avec une débutante de la pensée, il aurait voulu l’avoir rencontré cinq ans plus tard, pour ne pas avoir à faire son éducation intellectuelle. Et aussi agréable que ce soit de discuter d’un sujet qui le passionnait, de convaincre, ce n’était pas pour ça qu’il l’avait faite venir chez lui, il la regardait, la fièvre montait, peut-être parce qu’elle était si proche et pourtant si loin tandis qu’elle assimilait ce qu’il lui disait, qu’elle préparait sa prochaine flèche, prise dans le feu de la conversation son corps ne comptait plus.il finit par l’embrasser, étouffant une phrase. Elle y répondit, un peu distraitement au début, elle voulait achever la discussion, puis elle lâcha prise.
 
Le lendemain matin, encore enveloppée dans les couvertures pendant qu’il se préparait, elle ne savait pas trop quoi penser, elle ne savait même pas s’ils allaient se revoir en dehors de l’école. Alors elle s’habilla rapidement déposa un baiser léger sur les lèvres de son Prince encore groggy et alla prendre un petit déjeuner réconfortant dans un café du coin, un livre à la main.

Jeudi 28 juillet 2011 à 17:06


Ils avaient échangé quelques mots, puis des sourires gênés, ils ne se connaissaient pas assez pour savoir comment être familiers. Elle voulait lui annoncer ses résultats aux concours mais n’étaient-ils pas évidents puisqu’elle se trouvait dans cette cour ; elle voulait lui parler de ses cours et de ses professeurs mais elle avait peur de gaffer (elle pourrait se plaindre du professeur qu’il admirait, elle était encore novice) ; elle voulait parler de son ancien lycée, là où elle l’avait rencontré mais elle avait peur de l’ennuyer. Alors elle lui souriait, en cherchant fébrilement une amorce de conversation parmi celles qu’elle avait composées dans ses rêveries.
Mais ce fut lui qui pris l’initiative, il lui demanda « vous êtes libre là, tout de suite, vous avez le temps de prendre un café ? ». Il voulait donner forme à leur rencontre. Faire connaissance à trois ans de retard. Un peu surprise, elle lui avait dit oui. Comment se dérober ?
En marchant vers le café le plus proche, aucun mot ne fut échangé, la marche leur donnait une contenance, leur laissant le temps de réfléchir à ce qu’ils pourraient se dire. Il fut même tenté de l’entrainer plus loin, vers un autre bar, vers un autre café, pour faire durer cette promenade, cette parenthèse aussi longtemps que possible mais déjà elle franchissait la porte du café.
Une fois installés à une table, deux tasses fumantes devant eux, ce fut plus facile. Leurs retrouvailles prenaient sens. Il la fit parler de ses études, de ses projets, de ses goûts, se laissant bercer ar le flot de ses paroles. A mesure qu’ils se détendaient, ils commencèrent à plaisanter, à discuter pour de bon. A un moment, elle parla de son ancien lycée, de ceux qui l’avaient remplacé. « Il y en a un, c’est une vraie plaie, une espèce de pervers malsain et irrespectueux. Et il y en avait un autre, il vous ressemblait. Il était gentil, vraiment sympa, et on apprenait toujours quelque chose avec lui. Et lui, il se souvenait toujours de nos noms. Mais bon, sans vous, la dernière année n’était plus pareil » ajouta-t-elle avec un petit sourire. Il se sentit gêné tout à coup, il n’avait pas imaginé que…, enfin peut-être parfois, mais de façon vague, pas sérieusement, il avait quand même dix ans de plus… et puis flatté bien sûr, un peu ému peut-être. Il ne savait pas s’il devait mettre fin à leur rendez-vous ou faire comme si de rien n’était, puisqu’après tout ce n’était qu’une remarque de rien, peut-être de la nostalgie, une remarque en l’air. Mu par une impulsion, il étreignit vivement sa main, quelques secondes, avant de se retirer vivement.
Lorsqu’ils décidèrent de se séparer, il insista pour l’inviter. Au moment de se séparer, ils se dirent à bientôt, puisque de toute façon ils allaient se revoir, ils avaient même échangé leurs numéros. Voilà, c’était fini.
Mais ils sentaient confusément que s’il la laissait partir, comme ça, ils ne se rappelleraient jamais, ou si, peut-être qu’ils se reverraient mais ça ne prendrait jamais, ça resterait une relation formelle, distante, épisodique. Il sentait que c’était le moment où tout pouvait encore arriver. Il comprit qu’il pouvait devenir un Pygmalion et elle sa Galatée. Alors il l’embrassa. Brusquement, passionnément. Il lui proposa d’aller chez lui, pour faire de l’irréversible, pour franchir un seuil. C’était plus que ce qu’elle attendait.

Lundi 11 juillet 2011 à 0:04


Je vous ai aperçu dans la cour, une fois encore, mais je n’ai pas osé vous approcher.  Je pensais qu’une fois dans la même école, susceptibles de se croiser chaque jour, sans ce rapport d’autorité comme une toile d’araignée entre nous, ce serait différent. Mais c’est toujours pareil, je suis incapable de me mettre en danger quand ça compte vraiment. Troisième sur la liste de mes regrets, comme si les deux premiers ne m’avaient pas servi de leçon. Après tout, c’est toujours la même histoire : un homme que je connais à peine, juste assez cependant pour le confondre avec le prince charmant. J’attends de vous tellement et je n’ose pas vous approcher.
Je m’invente des excuses, je me dis que c’est parce que vous n’êtes jamais seul (et même si vous l’étiez, comment vous approcher sans être sûre que vous me reconnaissiez ?) mais… si seulement nous avions un cours en commun, je me dis que tout serait plus simple, mais ce n’est qu’un autre mensonge que je me raconte.
J’aurai aimé que vous veniez vers moi, vous m’auriez eu qu’un mot à dire et je serai tombé dans vos bras, je m’en serai remise à vous… car j’ai besoin de vous, j’ai besoin d’une relation affective et intellectuelle, quelqu’un contre lequel je pourrais faire rebondir les idées, quelqu’un qui parlerait mon langage. Un double, enfin.
Pendant l’été, j’ai dévoré ces trois livres que vous avez écrits, je m’attendais peut-être à vous trouver entre les pages. J’étais intimidée en les prenant entre mes mains, une distance en succédait une autre, vous aviez été une sorte de professeur, à présent vous étiez un érudit publié, quelqu’un de respectable et de vaguement connu. J’attendais une révélation de ces lectures mais peut-être l’ai-je trop attendue pour qu’elle survienne, les sujets dont traitaient les ouvrages m’ont laissée froides, j’ai découvert avec mélancolie que nous n’avions pas les mêmes préoccupations. Ce que je cherchais dans ces livres ne pouvait pas s’y trouver. Je vous cherchais.
Et vous êtes là, en face de moi. Il suffirait de traverser la cour… d’ailleurs vous me regardez, vos yeux s’attardent sur moi. Peut-être que vous me reconnaissez après tout. Peut-être que je compte.
Finalement, je fais un pas vers vous, au moins vous ne faites pas mine de faire demi-tour. C’est trop bête, de laisser passer une occasion pareille. Au pire, on pourra toujours parler de vos livres.

Samedi 4 juin 2011 à 18:53

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Est-ce que l’on peut apprécier quelqu’un qu’on connaît à peine ?
Je ne vous parle pas de l’affection qui se tisse parfois entre deux personnes, une brusque attirance ; mais d’une forme d’estime et de sympathie envers d’une personne dont on a pas pu, pas su se rapprocher. Aussi fort qu’on les souhaite les premières prises de contact s’avèrent parfois inconvenantes.
Lorsque je l’ai rencontré, je l’ai tout de suite trouvé séduisant mais il y avait entre nous ce voile indéchirable. J’aimais sa façon de me corriger en répétant « ce n’est pas contre vous, ne le prenez pas mal, mais… » avec des yeux écarquillés, comme s’il craignait que je ne le prenne mal. J’aimais son sourire en engageant lorsque j’entrais dans la salle et qu’il m’invitait à m’asseoir. J’aimais moins sa façon de ne pas retenir mon nom, comme si je ne comptais pas ; de regarder dans le vide pendant mon exposé, comme si je ne l’intéressais pas.
Pendant deux ans, j’attendais nos rencontres avec une certaine impatience, même si nos rendez-vous restaient formels.
Puis l’année suivante, il n’était plus là. Et j’ai eu un pincement au cœur car je ne pensais pas le revoir un jour. Je songeais à lui, parfois ; j’ai appris qu’il avait publié un livre, je me suis promis de le lire lorsque j’aurai le temps ; j’imaginais nos retrouvailles après que lassé de mon absence il aurait tenté de me retrouver, ou peut-être une rencontre au hasard, le croiser dans la rue, j’imaginais qu’une de nos rencontres avait fini différemment.
Et pourtant nous nous sommes revus, je ne l’aurai jamais cru, dans le même cadre que d’habitude. Adossée au mur, devant la porte qui nous séparait pour quelques instants encore, je me rappelais ses retards en regardant ma montre, je me rappelais ses yeux gris.
Quelque chose avait changé : il ne me demanda pas mon nom, il me dit d’un ton entendu « vous êtes une redoublante, n’est-ce pas ? », enfin j’avais l’impression d’être une personne singulière à ses yeux. A la fin de l’entretien, il me posa quelques questions sur moi, il m’assura qu’il suivrait ma progression. Bien sûr, je me doutais que c’était des paroles en l’air, mais ça m’a fait plaisir.
L’année prochaine, une fois encore, je vais le rejoindre. Et c’est sûr, je deviendrais enfin une personne à ses yeux.

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