cigarette-and-coffee-milk

Samedi 22 octobre 2011 à 15:23

http://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/images/tumblrkyr0oumwc21qapcpeo1400large.jpg

Et tout s’était passé comme prévu. Quelques mois de plus, l’étincelle s’était éteinte, ses sentiments pour lui refluaient comme des vagues. Certains matins, elle se levait obsédée par la présence pesante de Nathan, étouffée par ses attentions un peu distraites, par sa gentillesse fade et lisse comme de la guimauve, par son attachement confiant, elle se disait qu’elle devrait en finir, ne plus feindre, pour leur bien à tous les deux. Elle redoutait leurs rencontres comme un rendez-vous chez le dentiste : désagréable et inévitable.
Et d’autres matins, elle se sentait baignée d’affection pour lui, rassurée par les bras qui l’entouraient lorsqu’elle dormait encore, elle s’en voulait de jeter l’éponge, de ne pas faire d’effort. C’était une passion tranquille, une histoire de plus. Et puis elle avait rencontré Aurélien.
Aurélien n’était personne, juste un type qui prenait souvent un verre dans le café en face de chez elle, où elle allait souvent travailler (elle aimait le style que ça lui donnait un paquet de cigarettes échoué sur la table, un café viennois, des feuilles éparpillées, un livre à la main, un cahier ouvert devant elle. Elle se disait que cela lui donnait l’air d’une jeune intellectuelle.).
Aurélien s’installait au café vers 3 heures, presque tous les jours ouvrables, avec des collègues, et il commandait invariablement un expresso, et ils restaient là faire traîner le temps, une demi-heure, une heure, à tenir des discussions animées et insignifiantes, avant de retourner au bureau. Ils la dérangeaient. Leurs conversations bruyantes et leurs rires l’empêchaient de travailler, alors quand ils étaient là, elle ne pouvait s’empêcher de lever la tête de son ouvrage et laissait son regard se poser sur l’un ou sur l’autre, distraitement. Aurélien venait parfois seul, vers 17h ou 18h, les yeux dans le vague, avec l’air de simplement retarder le moment de la regarder. Et il la regardait. Longuement, calmement, comme s’il cherchait à déchiffrer son visage. Et elle finit par apprécier ces yeux posés sur elle.

Mardi 4 octobre 2011 à 9:50

Quelques mois avaient passé. Elle avait rêvé d’une histoire passionnée, haute en couleurs, fantaisiste, bref une histoire de roman. Elle avait rêvé de passion intellectuelle, elle avait cru qu’avec lui elle pourrait réaliser cette antithèse. Mais ce qu’elle attendait de lui, il ne pouvait pas le lui donner. Il faut une certaine dose de narcissisme, et beaucoup de patience pour devenir un Pygmalion. Mais il n’avait pas le temps, pas l’ambition de la « former ». Bien sûr, il n’avait rien contre le fait de parler de leur centre d’intérêt commun, confronter leurs lectures, mais il n’avait pas suffisamment forgé sa propre pensée encore pour pouvoir laisser sa marque sur quelqu’un d’autre. Peut-être aurait-elle eu plus de chance en se tournant vers quelqu’un de plus âgé.
Mais c’était trop tard. Elle s’était engluée dans leur relation amoureuse, ce n’était même pas une histoire, c’était un court-métrage qui passait en boucle, toujours le même rendez-vous. Ils commençaient à bien se connaitre. Bien sûr, elle savait qu’en le fréquentant, elle allait être démystifiée, il ne pourrait plus être cet être lointain et éblouissant qu’elle avait aimé sans le connaitre. Mais le savoir ne rendait pas le constat de voir la magie s’éteindre plus facile. Pour l’instant, la nouveauté compensait la déception, mais elle sentait que sous peu, elle aurait besoin d’autres expédients. Encore une fois.
Et bien sûr, il ne se rendait compte de rien, il était trop tôt encore, ce genre de fièvre est toujours cachée sous la surface, le feu sous la glace.
Les histoires d’amour, c’est une habitude comme une autre, la rationalisation du plaisir, une perte de temps agréable, transformer ce qui advient en ce qui convient. Mais il n’est pas donné à tout le monde de se rassasier d’un seul être.
Elle se sentait prête pour une nouvelle aventure. Il ne lui manquait qu’un partenaire, n’importe qui, une occasion, elle rêvait déjà de se dépayser le cœur. Ce n’était plus qu’une question de temps.

Vendredi 9 septembre 2011 à 23:40

http://www.futura-sciences.com/cgi-bin/mimetex.cgi?%5Cint_a%5Eb%7Bf(x)dx%7D

Je ne sais pas comment ça a pu arriver. Je m’étais pourtant jurée que plus jamais je ne prendrai part à une intégration, ni en tant que victime ni en tant que bourreau. Non pas que mon expérience d’intégration en tant que « bizuth » ait été si terrible (dans le sens où ce n’est pas un souvenir qui me hantera jusqu’à la fin de mes jours), mais c’est indéniablement un mauvais souvenir. Je ne dois pas être faite pour les expériences de groupe.
Pourtant, j’ai été entraînée contre mon gré, en tant que bourreau à une de ces sauteries de bizuthages. Dès le début, je faisais tâche : je n’avais pas l’uniforme de kapot. Je n’avais ni le béret ridicule dont on nous affuble à la fin de l’intégration pour marquer au fer rouge notre entrée dans le monde merveilleux des intégrés, ni la blouse où ceux qui ont réussi leurs concours (ou leur inscription à la fac) inscrivent avec modestie « très vénérable intégré dans telle prestigieuse école ». Qu’est-ce que j’aurai pu écrire, de toute façon ? « Très vénérable intégrée nulle part » ? « Fort valeureuse désintégrée » ? quant au béret, je l’ai perdu il y a deux ans.
Et donc j’étais là, au milieu des blouses blanches et bleues et des couvre-chefs risibles, habillée comme une bizuth et donc à la merci de la première humiliation venue, autour de moi les blouses brandissaient du sirop, des flamby, des œufs et de la farine prêts à s’écraser sur les bizuths, elles étaient survoltées à l’idée de la grande bataille du self à venir et moi, je me demandais ce que je faisais là.
Deuxième épisode, deuxième incursion au pays des intégrés. Droit à un aperçu d’une centaine de bizuths exécutant en chœur la même chorégraphie débile sur une chanson débile, un des nombreux rituels de l’intégration, et il y avait tellement d’énergie qui parcourait cette masse, une ardeur, une hystérie, une joie d’être là, de s’amuser (car le ridicule ne tue pas quand on est plusieurs, il peut devenir drôle). Les bizuths brûlaient d’enthousiasme, chantant de concert leur soumission au président du bureau des élèves à pleins poumons, les yeux plein d’étoiles, parce qu’ils faisaient partie d’un groupe.
Tout cela me rendait malade et mes amies me demandaient « pourquoi tu n’aimes pas ça ? tu ne trouves pas ça drôle ? Rabat-joie. ». Je ne sais pas, peut-être que j’ai une personnalité et que je n’ai pas envie qu’on en brise un morceau sous prétexte que je dois me mêler à une communauté éphémère, peut-être que je n’ai pas besoin de libérer mes pulsions sadiques sur un type qui a le malheur de passer par là juste parce qu’on m’en donne le droit, parce qu’il m’en donne le droit, et j’avais envie de crier « vous n’avez donc pas de dignité ? vous ne voyez pas que quelque chose cloche ? ». Apparemment je suis la seule à trouver cette atmosphère malsaine. Par contre, tout le monde avait l’air de trouver normal de taper des gens avec des polochons sans qu’ils se défendent. Parce que c’est vrai, c’est bon enfant, ça ne fait pas vraiment mal les polochons, et regardez comme ils ont l’air heureux de se faire humilier, comment ils acceptent leur soumission à des égaux.
Ce qui m’a le plus énervée, c’est cette petite blouse bleue qui est venue nous interrompre mes amies et moi pour nous demander de rejoindre les bizuths afin de se faire arroser d’eau et sûrement d’autres machins. Elle était là, sur sa trottinette, à insister pour que nous rejoignons les victimes, parce que deux d’entre nous n’avaient ni blouse ni béret, comme si le fait d’avoir un surnom stupide dans le dos lui donnait une autorité, un pouvoir indéfectible. Elle n’a qu’un an de plus de ceux qu’elle veut soumettre, mais sa blouse lui donnait l’illusion d’être supérieure, d’être entrée dans la cours des grands. Dieu merci, elle a fini par rebrousser chemin, sinon j’aurai probablement planté mes canines dans sa gorge, pour revenir au pouvoir le plus primaire, pour pousser la mascarade jusqu’au bout en introduisant la violence. On a bien voulu me faire oublier que j’étais quelqu’un, j’aurai bien pu oublier que j’étais un humain, l’espace d’une soirée, puisqu’apparemment tout était permis. Et en trophée, j’aurai enfilé sa blouse, pour marquer mon entrée dans le camp des forts.
Mais l’horreur n’était pas encore à son comble. J’ai appris qu’ils avaient acheté des poules, comme des espèces de mascottes à plumes des classes. Et qu’ils les ont fait participer à un de leurs jeux, à savoir le béret (avec la poule dans le rôle du béret), assaisonné d’une bâche savonneuse secouée au quatre coins par de valeureux volontaires en blouse. A la fin, il parait que les pauvres volatiles étaient passablement mal en point, mais elles ont survécu, puisqu’elles sont parvenues à empester les salles de classe le lendemain. Des poules. En plein Paris. Dans un lycée. Quelque chose me chiffonne, mais quoi ?
C’est officiel, jamais plus je ne ferai la reine de sabbat, et surtout pas malgré moi.

Lundi 5 septembre 2011 à 22:30

 
http://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/images/928422206.jpg
Regarde, c’est encore moi, lovée dans un coin. Encore moi, amoureuse une fois encore, rejetée, transparente, encore une fois. Le cœur encore en sang.
Encore une fois, j’avais espéré que tu serais différent, que tu serais celui avec le cheval blanc. J’avais espéré que cette fois j’allais voler. Avant de disparaitre.
C’est moi, lovée dans un coin, essayant encore de me relever. Heure après heure. J’aurais voulu être un phœnix, j’aurais voulu être comme Victoria : un brasier, un incendie.
Lovée dans un coin, je ne produis que des étincelles. Je croyais que tu allais m’aimer. Lovée dans un coin, je suis une putain sentimentale, j’offre mon cœur au plus offrant, au premier venu, je mets ma viande aux enchères.
Lovée dans un coin, je n’ose pas contempler l’épique désastre, cette vie que j’ai ravagée. Je tombe en cendres. Je ne te l’avais pas dit, mais je m’ennuie. Je voudrais que tu enflammes ma vie, ce qu’il en reste, j’aurais voulu que tu me pousses dans le vide.
C’est encore moi, qui capte la lumière des projecteurs, mon petit numéro habituel, une dernière danse avant de tirer ma révérence, ça m’épuise tellement cette braise dans ma poitrine.
Regarde, c’est encore moi. Lovée dans mon coin, c’est encore moi, tombant amoureuse une fois encore, c’est moi qui t’oublie déjà.

Dimanche 4 septembre 2011 à 17:21

http://cigarette-and-coffee-milk.cowblog.fr/images/12large.jpg

Soudain, l’essence de cet homme m’est apparue, comme si un voile s’était déchiré. Ce sont finalement nos démons qui nous définissent, et le sien m’est apparu, me faisant un signe de main avant de reprendre sa course.
Cet homme est écrasé par le poids de chacune de ses actons, le geste le plus insignifiant devient pour lui un instrument de torture, incarnant tour à tour le regret et le remord, objet d’infinies réflexions, il était écrasé par le poids de ses pensées, perpétuellement entravé, condamné à la lenteur extrême, dépassé dès la ligne de départ.
Alors il s’accrochait, à n’importe qui, aux êtres de passage, déversant ses chaînes intangibles sous forme de monologues évanescents dans l’espoir que quelqu’un s’en saisisse, les dissolve. Il ne parlait pas vraiment à quelqu’un car il n’y avait rien à répondre, il aurait fallu que quelqu’un le prenne dans ses bras, tente de le réconforter, de le distraire. Peut-être avait-il besoin d’un guide, d’une mère mais il était trop tard pour lui apprendre à vivre. Alors je suis sortie de sa vie, à reculons, en espérant qu’un jour il comprenne…

<< Reine blanche | 7 | 8 | 9 | 10 | 11 | 12 | Reine rouge >>

Créer un podcast